L'histoire du bas Les hommes en portaient

L'histoire du bas Les hommes en portaient
Par QUENTIN GIRARD

L'histoire du bas

De la favorite d'un empereur chinois à des parachutes pour l'armée américaine en passant par le French cancan, l'histoire du bas teinte les siècles d'érotisme.

«Elles nous font voir leurs mollets», débute une chanson des années 1920. Là, tout s'arrête. Elles font voir leurs mollets, des bas apparaissent, et les esprits cessent de réfléchir. Subjugués. Dans le beau livre Le Bas, Jean Feixas revient sur notre fascination pour ce petit bout de vêtement, objet de tant de désir. «Elle n'était pas entièrement nue, mais c'était pis ! Elle était bien plus révoltamment indécente que si elle eût été franchement nue», s'effraie ainsi un jour faussement Jules Barbey d'Aurevilly. Déjà auteur de l'Histoire de la fessée chez le même éditeur Jean-Claude Gawsewitch, le fétichiste Jean Feixas parsème son récit d'une multitude d'anecdotes, de citations d'écrivains, de photos, de peintures, d'extraits de films ou d'affiches publicitaires aiguichantes.

De l'Antiquité à l'arrivée des Américains en France après la Seconde Guerre mondiale, le bas traverse les siècles et n'est pas qu'une histoire de mode et d'érotisme : il raconte aussi l'évolution des moeurs, l'industrialisation et la mondialisation.

La première légende sur le bas remonte à la Chine antique. Au XVIe siècle avant Jésus-Christ, l'épouse ou la favorite de l'Empereur Huang Di – les versions divergent, mais c'était il y a bien longtemps, c'est le principe des contes – découvre en prenant le thé dans son jardin les vertus des chenilles «enroulées dans un fil ténu d'une longueur inimaginable». «L'empereur garda avec soin le secret autour du cocon», raconte Jean Feixas. «Tellement bien qu'il fallut attendre vingt siècles pour qu'il fut percé, vers 550 après Jésus-Christ, quand Justinien, empereur de Byzance, décida de s'en emparer et qu'il dépêcha en Chine deux moines espions», continue-t-il.

En 1589, le pasteur William Lee crée le premier métier permettant une production plus importante, dans la banlieue de Nottingham. Mais il est obligé de fuir, devant la colère des bonnetiers anglais, qui l'accusent de concurrence déloyale. Il se réfugie en France. Las, à la mort de son protecteur Henri II, la technologie est rapatriée de l'autre côté de la Manche. Dans l'Hexagone, cette industrie ne se développe vraiment qu'à partir de 1659, avec un atelier à Boulogne puis plusieurs du côté du Faubourg Saint-Antoine. Mais les bas anglais gardent pendant longtemps une prééminence. Ils sont plus chers, donc c'est plus chic de les porter. Jusqu'à cet arrêté du 20 avril 1700 qui impose de très fortes taxes à l'importation et les rend inabordables ou presque. Certains commerçants se lancent alors dans la contrebande.

Aussi une histoire masculine

Pendant longtemps, ce vêtement est porté autant voire plus par les hommes que par les femmes. Henri II, aux noces de sa filles, auraient mis les premiers bas de «soye». Henri III avait une passion du vert qui poussa toute la cour à l'imiter. François de Malherbe, le poète, était très frileux. Il était capable d'en superposer une dizaine. Voltaire éleva pour sa part des vers à soie lors de son exil à Ferney. Kant, lui, aurait inventé une première version de la jarretelle pour maintenir sa circulation sanguine ! Le port du bas décline chez les hommes au XIXe siècle. Un manuel de toilettes de 1828 explique que seules les personnes d'un certain âge en portent systématiquement, «les jeunes gens n'en mettent que pour aller au bal en grande soirée».

La couleur des bas est une histoire de mode. Dans les années 1880, le bas noir, grâce au French cancan, devient très populaire. Le noir, sur les femmes, est sexy, provocant. Avant, il était blanc le plus souvent. Les deux tons s'affrontent de nombreuses années, puis la couleur chair connaît le succès. Des chansons mettent en scène ces affrontements: «Au jardin de Paris, Lorsque je vis Palmyre, Elle avait des bas gris, Je ne sus rien lui dire, Mais quand, le lendemain, J'aperçus à la belle, Des bas de noir satin, Mon cœur prit feu pour elle», s'amuse les paroles de l'une d'elle. «Moi rien que de d'apercevoir un bas noir, le cœur me bat, C'est étrange je ferais tout pour l'avoir», chantonne Félix Mayol, en 1903.

Mais il ne sait pas encore qu'un terrible concurrent pointe le bout de ses mailles, la petite chaussette. Popularisée par des actrices de cabaret, elle permet de montrer un peu plus et de jouer sur l'idée trouble d'une innocente jeunesse pour séduire. «Les fausses mineures des bordels se défirent de leurs bas et y gagnèrent une crédibilité», explique Jean Feixas, ex-commissaire de police à la brigade des mœurs. «Esthéthiquement parlant, elle était discutable, mais sexuellement elle s'armait d'un charme, inquiétant peut-être, coupable sûrement, mais très efficace».

En 1935, une entreprise de chimie américaine, Du Pont de Nemours, invente le nylon. Quatre ans plus tard sont fabriqués les premiers bas dans cette matière. Cela révolutionne le secteur. Très vite, le succès est au rendez-vous: ils sont moins chers, plus légers, plus solides et d'une grande finesse. La guerre met un temps la mode de côté. Les autorités américaines demandent aux femmes de donner leurs bas de nylon, car, avec, on peut fabriquer des parachutes ! A la libération, cette matière arrive en France où elle connaît le même engouement.

Parfois le bas est aussi une histoire de pudeur. Dans les années 30, la mode est d'en porter à la plage en Californie, mais, attention, pas de n'importe quelle manière. «Il ne devait pas révéler plus de 20 cm de chair entre son bord roulé et l'ourlet de la robe. La robe, elle-même, ne devait pas se situer à plus de 65 cm du sol. Des policiers spéciaux y veillaient, le mètre à la main» s'amuse Jean Feixas.

Après tout, ces forces de l'ordre cherchaient sans doute la puce, un terrible animal. «Cette petite friande qui se repaît de viande», comme l'appelle Olivier de Magny au XVIe siècle, fut pendant longtemps particulièrement vorace contre les jambes des jeunes femmes. Cet animal presque mythique avait tendance à remonter les cuisses et il fallait risquer sa vie, n'ayons pas peur des mots, pour aller le déloger d'un geste de la main. Le poète Pierre Motin demande à l'une de ses amantes de «l'autoriser à exercer sa cruauté dessus cette importune puce». Il lui propose alors de la «dépuceler». Pour Jean Feixas, «notons le bon sens des insectes qui ne s'en prirent qu'aux jolies femmes et jamais aux hommes, peut-être parce que les femmes ont meilleur goût».
il y a 11 ans

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