Le gamin rêve d’une couche et d’être dans un camion

Il est 21 heures, les cibistes passionnés, quasi des radio-amateurs commencent leur nuit. Comme à leur habitude, ils écoutent le canal 18 et parfois, guident des routiers égarés cherchant leur route. Sur la région parisienne, ils sont près de 800 adeptes du mike, (le micro).

Les rebelles notent les « papas 22 » et en reparlent sur le 18 régulièrement en passant une annonce. Ils se sont organisés pour assurer un relais coupé en quatre parties, Paris Nord, Paris Sud, Paris Est, Paris Ouest. Vers 22 heures, une voix enfantine monte sur le 18, « bonsoir les milles pattes, ici « Petit Louis ».

Les cibistes lui répondent, certains lui demandent s’il n’est pas un peu jeune pour écouter la cibie. Pour ne pas encombrer le canal 18, il est redirigé avec gentillesse par un radio amateur sur un autre canal pour discuter un peu. Le petit Louis respecte cette demande et passe sur le canal 16. Méfiants, d’autres radio amateurs et routiers changent eux aussi de canal, on ne sait jamais, le petit pourrait bien tomber sur un détraqué, amateur de chair fraîche.

La conversation créée rapidement une tension et de l’inquiétude, Petit Louis a expliqué qu’il est seul chez lui et que sa maman est partie travailler. La radio amateur ou cibiste « Popi » pourrait être un prédateur car il lui pose trop de questions sur sa localisation.

En parallèle, sur le canal 15, une conversation s’ouvre sur ce fameux Popi qui draguerait un gamin. Pour l’instant, il est décidé d’écouter et d’essayer de prendre un maximum d’informations pour localiser le gamin et Popi.

Petit Louis indique que son papa est parti au ciel avec son camion, et que sa famille en récupérant ses effets lui ont ramené la Cibie de papa. Il l’emmenait parfois pendant les vacances scolaires dans son camion, le petit devenait grand, il dominait la route par la hauteur du véhicule. Sa passion était de signaler les « papa 22 » et OM PIMPON (Pompiers) pour leur faciliter le passage.

Sa maman a accepté de lui donner la cibie de papa. Le tonton a offert de quoi faire fonctionner dans sa chambre, cette fameuse cibie du camion. L’avantage de cette concession, est que le Louis n’est pas vraiment tout seul quand elle part travailler. Pour survivre financièrement, elle cumule deux emplois. Un déclaré, l’autre non, il faut bien vivre et payer le crédit de la maison que son mari a, en grande partie, construite les week-end en guise de repos. Son deuxième emploi est serveuse dans un restaurant de routier.

Lors des échanges avec Popi, Louis lui demande ce qu’il fait comme métier. Popi lui répond hélas qu’il n’en a plus à cause d’un accident. Les enfants ne s’encombrent pas de la gêne des adultes, Louis lui demande pourquoi il ne travaille plus. Alors Popi lui raconte sa mésaventure et ses gros problèmes pour marcher.

- Comment tu fais pour aller faire pipi quand sa presse ? Demande Louis avec le naturel innocent d’un gamin

Après un grand blanc, Popi lui répond qu’il met des protections comme les papis et mamies.

- Ah, mon papa en avait aussi dans son camion. Je ne l’ai jamais vu en mettre, mais j’en ai vu dans la cabine de son camion. J’aimerai beaucoup remonter dans un camion. Quand je serai grand, je serai routier.

- Et tu habites où ? Demande Popi sans penser à mal et pour meuble la conversation.

- Au 44 rue des champs à Vélizy-Villacoublay ! Répond Louis sans prendre garde au danger.

- Il ne faut pas le dire sur la radio, tu dis juste Vélizy et pas plus ! Répond Popi en se maudissant d’avoir demandé ça de cette façon. Il aurait simplement pu demander la ville.

Pour enchaîner, il lui demande quelle est sa musique préféré. petit Louis lui répond « Mon Camion » de Michel Lallory et lui dit qu’il l’écoute tout le temps.
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Le petit Louis n’en démord pas, son rêve est de remonter dans un camion. Oh pas longtemps, juste un tour de quartier, en plus on peut les garer presque devant la maison. Cela serait comme avant avec son papa.

Et là, il dit qu’il mettra une couche pour faire comme quand son papa était seul avant de fondre en larmes. Il demande à Popi si il veut bien venir le voir pour lui faire faire un tour de camion.

Désespéré, Popi lui répond qu’il n’a qu’une vieille 4L, que cela n’a aucun rapport avec un camion. Pour meubler, il lui promet d’essayer de trouver un routier qui lui ferait faire un tour de camion. Obstiné comme peut l’être un gamin, Louis lui demande s’il pourra mettre une des petites couches de sa maman et si le routier en aura aussi. Comme ça, cela ferait comme pour de vrai !

Que répondre à cela ?
Que répondre à tant de tristesse ?
Que répondre à tant d’incompréhensions ?

Popi lui indique alors que les routiers n’ont pas tous des couches pour essayer de sortir de cette impasse.

- Je sais ! Lui répond, Louis il y en a qui font pipi dans une bouteille pour ne pas s’arrêter, mais moi, je veux faire comme papa.

La conversation dure, elle est toujours aussi triste, les cibistes sont à présent convaincus de la réalité des faits racontés par le gamin. Par contre, ils s’inquiètent toujours sur les intentions de Popi. Et s’il n’était pas handicapé ? Et si c’était un prédateur ?

En réalité, Popi, est une personne handicapée. Suite à un grave accident il se déplace avec difficulté, doit porter des couches pour gérer ses soucis d’incontinence. Il meuble ses journées et ses nuits en essayant de se rendre « utile », de rendre service. Sur le mur face à sa cibie, il y a un plan de Paris, dans des tiroirs, il a également les plans des villes de la grande couronne.

Papi14, un des routiers ayant entendu le début de la conversation sur le canal 18 intervient à son tour. Il n’est pas très loin de Vélizy-Villacoublay car il doit livrer le lendemain à Viroflay. Il peut y être dans une petite demi-heure et propose de lui faire faire un tour de camion dans la zone industrielle.

Etant de Versailles, Popi leur propose de les rejoindre, le rendez-vous est fixé à 23 heures devant sa maison. Tant bien que mal avec ses béquilles, il saute dans sa 4L et fonce dans la ville, il ne faudrait pas que ce routier n’en soit pas un ou soit un pédo. Il roule comme un fou, grille quelques feux rouges pour essayer d’arriver à temps.

A son arrivé au 44 rue des champs à Vélizy-Villacoublay, un camion Berlier avec une semi-remorque est arrêté devant la porte. Popi descend et fait presque un cent mètres avec ses béquilles. Arrivé devant la maison presque entourée de hangars, il les voit en train de discuter. En arrivant il se présente, tous trois se serrent la main et discutent un peu.

Deux autres camions arrivent et se garent dans la rue. Les chauffeurs méfiants en descendent prêt à en découdre si besoin est, on ne touche pas à un enfant. En discutant avec Popi se tenant comme il peut sur ses béquilles, la conversation commence à ressembler à celles des gastro solides (resto des routiers). Les yeux de petits Louis brillent de joie. Un autre camion s’arrête devant la porte, lui aussi était venu voir si cette histoire était vraie.

Il est minuit quand la maman de Louis arrive. Les routiers n’ont pas voulu prendre le petit dans leur camion sans l’accord de la maman. Affolée elle se précipite sur son fils pour le prendre dans ses bras comme pour le protéger. Popi lui raconte alors l’histoire et le pourquoi ils sont là. Elle fond en larmes et ne sait plus que dire à part des « merci ».

- Maman, je peux prendre une de tes couches pour faire comme papa ? Demande Louis avec l’innocence d’un enfant.

- Mais tu racontes n’importe quoi, arrête de dire des bêtises.

- Tu sais bien que papa en mettait, il y en avait dans son camion ! Crie le gamin avant de crier je veux faire comme papa, je veux faire comme papa, je veux.....

Devant le malaise Popi essaye d’intervenir en disant qu’un tour de camion serait déjà super. Le gamin n’en démord pas, cela ressemble à un caprice, mais comme il pleure et rajoute à chaque fois « comme papa », il devient évident que cela est presque un impératif. Sa maman cède et le fait entrer pour lui mettre un des pants qu’elle utilise parfois quand elle a des soucis avec ses menstrues beaucoup trop importantes.

Popi et Louis montent dans le camion de Papi14 aidé par deux routiers sympas comme l’on dit. Lorsque le camion s’ébranle, le petit Louis est fou de joie, il saute au cou de Papi14 et l’embrasse sur la joue puis au cou de Popi. Assis dans la couchette du camion, il réalise son rêve d’orphelin meurtri dans la zone industrielle de Vélizy-Villacoublay.

A leur retour, les autres routiers sont restés, la maman leur a offert un café pour patienter. Le petit Louis fou de joie saute dans les bras de sa maman, il raconte tout, comment il passait les vitesses, le bruit de l’air des freins et même qu’il a touché un trottoir avec la roue de la remorque, ce qui fait rire les autres routiers.

Petit Louis et sa mère regardent les camions repartir avec des larmes de bonheur plein les yeux. Leurs petites mains s’agitent dans la grande rue sombre, « que dieu soit avec eux » murmure la maman avant de pousser son fils dans la maison.

Le petit Louis demande s’il peut garder la couche pour la nuit, sa maman très perturbée, accepte ne sachant que dire d’autre que « jusqu’à demain et c’est tout ». Louis fonce dans sa chambre après lui avoir sauté au cou. Sa maman pleure de joie, Louis a retrouvé le sourire qu’il avait perdu.

Sur le canal 18 une demi heure plus tard, c’est une femme qui s’adresse à la communauté des cibistes avec des sanglots dans la voix.

- Ici la maman de Louis, vous avez tous été formidables, je ne sais pas comment vous remercier mais sachez que vous avez redonné le sourire à mon fils. Je vous adresse à tous une palette de « merci » soyez prudents, que dieu soit avec vous sur la route.

FIN

TSM
il y a 4 ans

Merci monsieur TSM , jolie histoire , j ai connu cette époque ( MAX MEYNIER SUR RTL LES ROUTIERS SONT SYMPAS EN 1979 RADIOS RETRO ANNÉES 50 à 80 ), j étais en cuisine et ont écoutais RTL avec mon patron .
Cordialement
il y a 4 ans

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