Prostitution masculine : gros plan sur les "garçons de joie"

Prostitution masculine : gros plan sur les "garçons de joie"

Les polémiques autour de la prostitution sont toujours aussi vives, mais elles apparaissent globalement centrées sur la prostitution féminine. Peggy Sastre, essayiste et chroniqueuse, revient pour Le Plus sur la parution d'un ouvrage qui met en lumière les facettes inexplorées de la prostitution masculine.

Édité par Gaëlle-Marie Zimmermann Auteur parrainé par Mélissa Bounoua

L'un des premiers points communs qui me vient en tête lorsque je pense aux débats classiques sur la prostitution et la pornographie, c'est l'invisibilité des hommes.

Évidemment, pas les horribles consommateurs qui objectivent, marchandisent et stigmatisent le corps des femmes, non, ceux qui, eux aussi, mettent leur corps à disposition de cet affreux commerce. Les hardeurs et les prostitués, surtout s'ils sont homosexuels, semblent appartenir à une espèce de classe "à part" des scandales périodiques sur leur profession. Peut-être parce que, je ne sais pas, les prendre en compte montrerait avec trop d'évidence l'étroitesse de certains discours idéologiques et qu'il faut mieux, après tout, les mettre de côté en espérant que personne ne capte l'entourloupe.

Je n'ai pas vraiment la réponse, mais cela m'interroge, comme on dit.

Un autre regard sur la prostitution masculine à travers un livre

Si le dernier livre de Nicole Canet, Hôtels Garnis, Garçons de joie, Prostitution masculine à Paris de 1860 à 1960 ne permet pas non plus d'éclaircir ce mystère, il offre tout de même un autre son de cloche ou plutôt, pour coller avec sa dimension immanquablement visuelle, un autre tableau.

Comme à son habitude, Nicole Canet déploie, dans un magnifique ouvrage, toute la palette de ses extraordinaires dons d'archiviste. Sur 376 pages et 335 illustrations, sa visite du monde protéiforme du sexe tarifé entre hommes des deux derniers siècles laisse souvent bouche bée, vu qu'une bonne partie de son iconographie est tout simplement inédite.

Mais plus loin que la pure nouveauté et l'attrait des trouvailles incroyables, c'est peut-être la consternation qui surprend le plus dans cet ouvrage. En feuilletant Hôtels Garnis, à côté des images érotiques, les nombreux rapports de police, les détails des descentes ou des contrôles, mais aussi tous ces charmants petits billets de dénonciation rédigés par des bonnes gens persuadées de "penser bien" et désireuses d'alarmer les forces de l'ordre sur des pratiques qui, non seulement les dégoûtent, mais qu'ils considèrent comme dangereuses pour toute la société, nous rappellent combien le sexe n'est définitivement pas quelque-chose de gratuit.

La délation sous couvert de morale, une pratique toujours vivace



En 1872, plusieurs commerçants du quartier du Palais-Royal s'étaient ainsi "indignés" de ce qui se passait devant leurs boutiques :

"Dans la galerie d'Orléans et aux alentours, de jeunes garçons en veste et en casquette raccrochent insolemment les hommes. Ils poussent l'effronterie jusqu'à se livrer sur les passants à des attouchement révoltants."

"Cette hideuse prostitution est le fait de véritables putains mâles qui en remontreraient aux habitants de Sodome. Ils ont un comportement que réprouve notre morale ».

Le 21 avril 1870, c'est un riverain du Bois de Boulogne qui envoie ses doléances à "Monsieur le Préfet de la Police Impériale" :

"Dès que la nuit vient, les allées autour de la Porte Maillot sont envahies par des individus des deux sexes qui, moyennant vingt ou trente sous, se livrent sur les amateurs à des pratiques dont la lubricité m’interdit de décrire le détail. Il faudrait lutter contre ces hideux trafics dangereux pour nos porte-monnaie comme pour la morale publique".

Si le vocabulaire, la syntaxe ont aujourd'hui changé, si on ne s'égare plus trop à parler de morale, le fond idéologique des contempteurs actuels de la sexualité "professionnelle" reste identique à celui qui poussait, il y a près de 150 ans, ces quidams à prendre la plume pour alerter la maréchaussée : il y a des pratiques sexuelles bonnes, et d'autres mauvaises, et celles-là il faut les éliminer. Qu'importe si le corps de ceux qui en tirent du plaisir et des revenus en pâtissent, c'est avant tout le corps social qu'il faut "protéger".

Alors peut-être que oui, le livre de Nicole Canet (qui se double d'une exposition débutant le 12 septembre) permet de répondre à la question qui me turlupinait : la situation des travailleurs du sexe masculins est tristement la même que celle des travailleuses du sexe féminines, et en remontant quasiment deux siècles en arrière, il permet d'éclairer tous les paradoxes de notre époque soi-disant libérée.
il y a 12 ans

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