Mon nouveau professeur de piano (1/6)

Catégories : Femmes fessées
il y a 5 ans

Je ne suis pas venue ici depuis trente ans. Et pourtant je reconnais tout. La grande porte cochère à l’entrée, les escaliers de bois tournant autour du vide, la moquette rouge recouvrant les marches. Mes souvenirs se réveillent et je revois, dans le désordre, de nombreux moments que j’ai vécus ici. Le simple fait de gravir ces marches ravive mes souvenirs les plus troublants, et même après toutes ces années, ils n’ont eu de cesse de me tourmenter.

Le vide autour duquel s’enroulent les escaliers est maintenant un ascenseur. Mais je ne pense même pas à le prendre, mes habitudes acquises il y a trente ans s’imposent sans même que j’envisage une alternative. Je suis essoufflée et j’ai chaud, et cela sans savoir si la cause est la fatigue, ou les souvenirs de mon dernier passage. Il est normal à mon âge de ne plus être capable d’escalader les étages comme je le faisais à l’époque. Mais je ne m’attendais pas à ce que les scènes que j’y avais vécues ressurgissent et me fassent autant d’effet.

Je ne sais pas ce qui m’attend en haut des escaliers, je ne sais pas si mon professeur est le même qu’il y a trente ans. Cela fait un point commun avec ma première venue, j’avais gravi ces marches sans avoir avoir la moindre idée de ce que j’allais découvrir au bout. 

J’étais étudiante à l’époque, je faisais plusieurs heures de piano par jour dans le but d’en faire mon métier. J’avais terminé depuis plusieurs années ma formation au conservatoire, et j’avais préparé les concours avec plusieurs professeurs sans vraiment en trouver un qui me corresponde. Ils étaient tous bons, mais aucun n’était parvenu à m’insuffler suffisamment d’énergie pour que je me dépasse complètement.

C‘était une période sombre de ma vie, celle où on se rend compte qu’on a travaillé pendant des années pour rien. J’en étais désespérée, parce que la seule chose que j’avais envie de faire, c’était de la musique. Et il fallait que je me rende à l’évidence, j’aimais la musique, mais elle ne m’aimait pas.

Un jour, j’avais été invitée à une soirée organisée par une amie qui avait fait le conservatoire avec moi. Elle fêtait sa réussite à un concours auquel je m’étais fait recaler plusieurs fois. Son niveau n’était pas plus prometteur que le mien, comment avait-elle fait pour réussir ce concours avant moi ? Je me sentais coupable de porter ce mélange de jalousie et de curiosité, mais j’y suis allé parce qu’il était insoutenable de pas savoir comment elle avait fait.

Sur place, je me suis retrouvée au milieu de nombreuses personnes que je connaissais déjà, que j’avais vues dans des cours, ou bien sur scène, et qui avaient accumulées bien plus de diplômes que moi. Ce n’était pas de leur faute s’il étaient bons, et pourtant je ressentais une rage contre eux, une rage contre ceux qui réussissent. 

Souvent la réussite est une combinaison de chance, de talent, de travail, ou encore de passion. Et là je me surprenais à tous les détester, parce que ce n’était pas une question de chance, je ne pouvais même pas me retrancher derrière ça. On avait étudié au même endroit, avec les mêmes professeurs, et passés les mêmes concours. Le fait est qu’ils étaient juste meilleurs que moi, ou plutôt que j’étais trop mauvaise.

Sophie arborait fièrement sa robe de soirée et sa coupe de champagne, ce qui se comprenait vu qu’elle venait d’accomplir un exploit. Lorsqu’elle me vit, elle se dirigea vers moi avec une deuxième coupe. On avait été très proches à l’époque du conservatoire, c’était même ma meilleure amie. Mais ce soir-là, je la détestais parce que j’avais travaillé comme une dingue, et je n’avais même pas passé le premier tour.

Quand elle prit de de mes nouvelles, je ne sentis aucune condescendance. Elle s’exprimait avec bienveillance, je n’étais pas une concurrente mais une amie pour elle. A l’époque où on se voyait régulièrement, on était toutes les deux des pestes. On s’était de nombreuses fois moquées des élèves qui n’avaient pas les mêmes facilités que nous, nous étions certaines de notre invulnérabilité, certaines que nous valions mieux qu’eux. 

Et cette fois-ci nous avions toutes les deux changées. Sophie était toujours dans le camp des gagnants, mais toute la condescendance qui l’habitait à l’époque avait disparu. La personne qui s’adressait à moi n’était plus la Sophie que j’avais connue, c’était une meilleure personne. Et moi j’avais changée, parce que je faisais dorénavant partie des perdantes. Celles qui travaillent sans avoir de talent, et qui assistent, impuissantes, à la réussite de personnes qui s’investissent moins qu’eux.

Elle me consacra un temps complètement démesuré compte tenu le nombre d’invités. Elle me disait que j’avais les capacités d’y arriver aussi, et qu’il fallait que j’apprenne à repousser mes limites. Elle avait réussi à le faire parce qu’elle prenait des cours depuis un an avec un professeur de piano qui avait complètement changé sa vie. 

Je n’avais pas envie de suivre ses conseils, parce que même si j’étais venue pour savoir comment elle avait réussi, je voulais lui voler cette information. Je ne voulais pas qu’elle vienne me l’offrir, j’étais tellement jalouse que j’étais prête à décliner sa proposition par fierté.

En fait, je n’ai eu besoin ni d’accepter ni de refuser, vu qu’elle me l’imposa. Elle décida qu’avant son prochain cours, elle passerait me chercher chez moi pour qu’on y aille ensemble. 

Le cours avait lieu au domicile du professeur, dans les beaux quartiers. Pour la première fois, je passai la porte cochère, suivis Sophie dans les escaliers des constructions haussmanniennes, foulai la moquette rouge tapissant les marches pour finir devant une double porte, l’unique de cet étage.

Nous n’eûmes pas le temps de sonner. Une élève sortit, les yeux rouges et la tête baissée. Elle salua Sophie d’une voix étranglée puis partit. J’étais sur le point de demander à Sophie si son professeur était plutôt gentil avec les élèves, ou s’il lui arrivait d’être un peu dur. Mais elle me poussa dans l’appartement sans me laisser le temps de formuler ma question.

Elle connaissait très bien le chemin, je la suivis dans les couloirs jusque dans la pièce où se déroulaient les cours. Et là je fus émerveillée par la beauté de ce lieu. Une grande bibliothèque en bois faisait le tour de la pièce, au milieu de laquelle trônaient des fauteuils club, un grand bureau en chêne massif, et le piano à queue. Les grandes fenêtres laissaient passer une douce lumière qui coupait la pièce en deux. Un tableau noir, sur un des murs, arborait les noms de ses élèves, avec pour chacune des noms de concours, concerts ou examens. 

Le professeur était assis dans un des fauteuils, une théière fumante devant lui. Il était beaucoup plus jeune que ce que j’avais imaginé, il devait avoir une dizaine d’années de plus que nous. Et en fait je le connaissais déjà, je l’avais vu jouer dans des concerts. Ce prof était une bête à concours, et il y a encore peu de temps, il se produisait beaucoup. 

Je commençais à comprendre pourquoi autant d’élèves prenaient des cours avec lui. Il devait avoir une connaissance parfaite du milieu des examens, de la scène, il était plutôt agréable à regarder, et vu son jeune âge, il devait avoir un bon contact avec les élèves.

Nos tasses étaient déjà prêtes, il y versa du thé et nous invita à nous asseoir. Sophie prit un moment pour lui parler de moi. Elle s’exprimait de façon assez élogieuse, mais en déplorant le fait que je n’exploitais pas efficacement mon potentiel. Elle était persuadée qu’avec lui, je pourrais faire des progrès et avoir la carrière que j’attendais.

Lorsqu’il me demanda mon avis, je fus surpris par l’autorité naturelle qui transparaissait dans sa façon de s’exprimer. J’eus du mal à formuler une réponse claire, et me contentai de paraphraser la présentation de Sophie. Je n’étais pas seulement intimidée, j’étais intérieurement hors de contrôle. Je ne comprenais pas pourquoi sa question me troublait autant, et j’avais le plus grand mal à le masquer.

Il proposa de faire un essai, pour évaluer mes capacités à progresser, et que je m’assure bien que ses cours me correspondaient. J'acquiesçais, mais seulement en apparence. Parce qu’avant même d’avoir commencé, il me terrifiait. Etant donné le parcours de ce prof, et le nombre de succès que je lisais sur le tableau, il n’y avait aucune chance que je sois à la hauteur. Je ne pouvais que le conduire de déception en déception, et d’une façon que je n’arrivais pas à m’expliquer, je sentais qu’il valait mieux ne pas le décevoir.

Sophie s’installa la première au piano. Il lui demanda de jouer certains exercices de Brahms, et à chaque fois elle partait sans hésitation dans une exécution redoutablement précise. La Sophie que je voyais jouer n’avait plus rien de commun avec celle que j’avais connue, elle avait dû passer des heures à travailler comme une dingue pour arriver à un tel résultat. Mais moi, même en travaillant avec acharnement, je n’avais aucune chance de la rattraper, et je ne parviendrais jamais à satisfaire ce professeur.

Il avait un oeil et une oreille aiguisée, il lui donnaient des conseils très précis, qu’elle notait religieusement. Il lui donnait à la suite de chaque exercice une méthode exacte pour travailler. Sophie ne parlait presque pas, elle paraissait tout à fait habituée à cette façon de procéder, et ce que je voyais était un concentré d’efficacité. Je commençais à saisir la raison pour laquelle ce professeur l’avait autant fait progresser. Il contrôlait tout y compris sa façon de travailler entre les cours, et elle obéissait sans la moindre hésitation.

Il lui demanda ensuite le morceau qu’elle travaillait avec lui, un prélude de Rachmaninov monstrueusement difficile. C’était loin d’être parfait, mais je n'aurais pas fait mieux. Il lui fit reprendre section par section, lui donnant à chaque fois des conseils d’exécution, ainsi que la façon dont il fallait la travailler pendant la semaine.

Au moment où elle quitta le piano, il lui dit qu’il tenait vraiment à ce qu’elle travaille avec la méthode qu’il lui avait donnée, et fit allusion à ce qu’il se passerait si elle n’obéissait pas. Il ne développa pas ce point, mais je me doutais qu’il lui ferait une montagne de remontrances tout à fait désagréables, et qu’elle se retrouverait avec des exercices supplémentaires.

Je commençais à sérieusement hésiter. Il était excellent, et j’avais sous les yeux la preuve que ça fonctionnait. Mais je devais renoncer à une part de ma liberté en le laissant contrôler ma façon de travailler, et surtout je devais prendre le risque de le décevoir si mes progrès ne suffisaient pas.

Ce fut mon tour de m’installer au piano, il me demanda de lui jouer un morceau quelconque. Je décidais de lui jouer une sonate de Beethoven que je connaissais très bien. Je l’avais joué à mon dernier concours, et je prenais peu de risques en choisissant ce morceau. 

Si ce n’est que j’avais échoué à ce concours. 

J’avais beaucoup de mal à me concentrer, toutes mes hésitations me tournaient dans la tête. Et si mon niveau était trop bas ? Et si je n’arrivais pas à suffisamment progresser ? Et si je n’avais pas envie de travailler avec sa méthode ? 

Une fois le premier mouvement terminé, il me posa quelques questions, avec une voix calme mais autoritaire. J’avais du mal à répondre tellement il m’intimidait, je me disais qu’il avait dû trouver mon interprétation mauvaise. Sophie lui avait déjà dit que je m’étais faite recaler, et c’est par moi qu’il apprit que c’était avec ce morceau.

J’avais honte, je savais que je n’étais pas concentrée, et de plus j’avais joué un morceau qui m’avait fait rater un concours. J’étais sur le point de lui demander si je pouvais en jouer un autre lorsqu’il commença le travail. Il passa une heure à me faire rejouer chaque passage, m’expliquant à chaque fois ce qui n’allait pas, et comment faire pour le travailler efficacement.

J’avais l’impression de redécouvrir cette sonate, en une heure avec lui j’apprenais plus qu’avec d’autres professeurs pendant des années. Et surtout, je venais de comprendre pourquoi je n’avais pas eu le concours. Rien que pour ça, je ne regrettais pas du tout d’être venue.

Au moment où je me levai, il me fit une remarque qui me cloua sur place, il fallait que je travaille ma concentration. Je ne sus que répondre, cette simple phrase raviva les questions que je me posais en jouant. Quand il ajouta qu’il ne le tolérerait pas au cours suivant, j’eus très chaud, partout dans le corps. Mes lèvres étaient serrées tant je craignais que le moindre son trahisse mon trouble.

Il me fit signe de m’asseoir dans un des fauteuils, et il commença à parler : 

  • “Clara, je tiens à ce que vous sachiez que je suis disposé à vous prendre dans ma classe.”

Je ne savais pas  si je devais me sentir soulagée ou angoissée. Il reprit :

  • "Mais vous devrez avoir quelques règles en tête : 

Vous viendrez toutes les semaines en cours, pas de vacances, pas de retard. Aucune excuse ne sera acceptée, sauf si bien sûr vous êtes sur scène, parce que dans ce cas je serai dans la salle. 

Vous travaillerez tous les jours sans exception, et en suivant scrupuleusement la méthode que je vous donnerai. 

Tout manquement sera puni, et croyez-moi, vous n’aimerez pas mes punitions. 

Si un jour vous ne souhaitez plus travailler avec moi, ou que vous ne voulez pas être punie, vous serez il va de soi libre de partir. Mais il n’y aura pas de retour possible. 

Vous accepterez d’être présente chaque semaine, en ayant travaillé avec mes instructions, et d’être punie si tout manquement est constaté. Ou bien vous partirez définitivement. Si vous êtes d’accord, prenez une craie et écrivez votre nom sur le tableau, parce qu’il y a de bonnes chances que dans les mois qui viennent, vous ayez des choses à ajouter en face.”

Ca fonctionnait, j’avais eu la preuve devant moi. Et je venais d’être délivrée d’une question en comprenant mon échec précédent. Céder le contrôle était difficile, mais rassurant. Se laisser emmener par quelqu’un qui savait ce qu’il fallait faire pour réussir était finalement ce dont j’avais besoin. Certes il y avait des punitions, mais tous les profs le faisaient, même moi avec mes élèves. Quelques gammes supplémentaires ne font pas tant de mal que ça, ça fait même progresser.

Je me levai, me dirigeai vers le tableau. Une bonne cinquantaine de noms féminins y étaient écrit. Certains avaient été éclaircis par les années, et tous étaient accompagnés d’une montagne de récompenses. En parcourant le tableau des yeux, je passais devant des personnes qui maintenant étaient connues, et je comprenais maintenant comment elles avaient fait pour réussir. Il y avait même parmi les premiers noms celui d’une pianiste qui devait avoir le même âge que lui, et qui faisait une carrière internationale : la prof que j’avais quand j’étais au conservatoire.

Avoir le droit d’écrire son nom sur ce tableau était un privilège, une chance que l’on a une seule fois dans sa vie. Sophie était une des dernières à avoir écrit son nom, et elle avait déjà réussi plusieurs concours. Il y avait une Marion juste en dessous, qui n’avait pas encore de concours. Et ensuite plus rien.

Ma main tremblait autour de la craie, ça faisait des années que je galérais en me plantant à tous les concours, et la première étape pour en finir était d’écrire mon nom.

Le silence dans la pièce fut troublé par le bruit que je fis avec la craie. 

Lorsque j’eus achevé, je reposai la craie et retournai vers Sophie. Elle me serra dans ses bras, me murmura dans l’oreille que j’avais fait le bon choix, et que ma vie allait changer.

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