La Vénus à la Fourrure 2

Catégories : Homme soumis, Femdom Domination féminine
Ce récit est la suite de : La Vénus à la Fourrure
il y a 5 ans
  • En amour, il n’y a pas de juxtaposition, répliquai-je avec une solennelle sincérité, donc dès que j’ai l’option de commander ou d’être sous le joug, il me paraît très irritant d’être l’esclave d’une belle femme. Mais où trouverai-je la femme, qui, sans exercer son influence à l’aide de mesquines querelles, s’entend à dominer absolument, mais tranquillement et tout en gardant conscience d’elle-même ?

  • Cependant… cependant, cela ne serait pas difficile.

  • Vous croyez ?

  • Moi… par exemple - elle rit et se redressa en arrière - , j’ai les dispositions d’une despote… je possède aussi la pelisse indispensable ; mais, cette nuit, vous avez bien sincèrement eu peur de moi ?

  • En toute sincérité.

  • Et maintenant ?

  • Maintenant… maintenant, j’ai très sincèrement peur de vous. »

Nous sommes jour après jour ensemble, Vénus et moi ; complètement ensemble, nous déjeunons dans mon bosquet et prenons le thé dans son petit salon, et j’ai l’occasion de déployer mes petits, mes très petits talents. Dans quel but m’étais-je instruit dans toutes les branches des connaissances humaines, me suis-je essayé dans tous les arts, alors que je n’étais pas en possession d’une charmante petite femme !

Mais cette femme n’est nullement si petite et m’en impose d’une façon prodigieuse. Aujourd’hui j’ai dessiné son portrait et j’ai sérieusement et fort nettement compris combien peu notre toilette moderne est faite pour cette tête de camée. Elle a peu de choses de romain, mais beaucoup de grec dans les traits.

Tantôt je prends plaisir à la peindre en Psyché, tantôt en Astarté ; je donne toujours à ses yeux une expression exaltée ou semi-langoureuse de volupté éteinte, mais elle tient absolument à ce que ce soit un portrait.

Maintenant, je veux lui donner une pelisse.

Hélas ! comment puis-je me demander pour qui est faite une pelisse princière, si ce n’est pour elle ?

J’étais, hier soir, avec elle, et lui lus les Élégies romaines. Je jetai bientôt le livre loin de moi et me mis à faire quelques réflexions. Elles parurent lui plaire ; bien plus, elle était suspendue à mes lèvres et son sein palpita.

Où me suis-je trompé ?

La pluie frappait mélancoliquement aux vitres, dans l’âtre le feu rappelait l’hiver, il me rappelait tellement bien ma patrie que j’oubliai momentanément tout respect pour la belle dame et lui baisai la main, et elle se laissa faire.

Alors, je m’assis à ses pieds et me mis à lui lire un petit poème que j’avais écrit pour elle.

Vénus à la fourrure.

Pose le pied sur ton esclave,

Femme mythologique, diaboliquement charmante ;

Sur les myrtes et les agaves.

Étends ton corps de marbre.

Oui, eh bien ! cette fois, je suis vraiment revenu à la première strophe ; mais ce soir, sur son ordre, je lui ai remis le poème, et n’en ai aucune copie, et aujourd’hui, où je l’extrais de mon journal, seule cette première strophe me vient à l’esprit.

J’ai une curieuse sensation. Je ne crois pas être amoureux de Wanda. Du moins, à notre première entrevue, n’ai-je ressenti aucune passion à la vue de ses jolis yeux brûlants. Mais j’éprouve combien sa beauté extraordinaire, vraiment divine, me tend de magnifiques embûches. Ce n’est pas non plus une attraction du cœur qui naît en moi, c’est une sujétion physique, lente, mais par cela même complète.

Je souffre davantage de jour en jour ; elle ne fait qu’en rire.

Aujourd’hui elle me dit tout à coup, sans aucune raison : « Vous m’intéressez. La plupart des hommes sont si vulgaires, sans enthousiasme, sans poésie ; vous possédez au contraire une certaine profondeur et une certaine exaltation, par-dessus tout une gravité, qui me fait du bien. Je pourrais vous prendre en affection. »

Après une courte, mais v i o l e n t e pluie d’orage, nous allons visiter ensemble la prairie et la statue de Vénus. La terre tout autour exhale des vapeurs, les nuages montent vers le ciel comme la fumée d’un sacrifice, les restes d’un arc-en-ciel planent dans l’air, les arbres dégouttent encore, mais les moineaux et les pinsons sautent déjà de branche en branche et gazouillent bruyamment, comme s’ils se réjouissaient de quelque grand événement, et tout et rempli d’une fraîche senteur. Nous ne pouvons avancer sur la prairie, car elle et encore toute trempée et paraît toute resplendissante de soleil, comme un petit étang, sur le miroir mobile duquel s’élève la déesse d’amour ; autour de sa tête, dans un essaim de moucherons qui, au milieu des rayons solaires, s’élève autour d’elle comme une auréole.

Wanda se réjouit de ce charmant coup d’œil, et les bancs de l’allée étant encore mouillés, s’appuie sur mon bras pour se reposer ; une douce lassitude s’étend sur tout son être, ses yeux sont mi-clos, son haleine effleure ma joue.

Je lui saisis la main et ne sachant vraiment pas si cela lui plaît, je lui demande :

« Pourriez-vous m’aimer ?

  • Pourquoi pas ? » reprend-elle, tout en laissant reposer un instant sur moi son calme regard ensoleillé.

Un moment après, je m’agenouille devant elle et presse mon visage enflammé sur la mousseline parfumée de sa robe.

« Mais Séverine, cela et fort inconvenant ! » crie-t-il .

Néanmoins, je saisis son petit pied et y colle mes lèvres.

« Vous devenez de plus en plus inconvenant ! » s’écrie-t-elle ; elle se dégage et s’enfuit à pas précipités vers la maison, tandis que sa délicieuse pantoufle demeure entre mes mains.

Serait-ce un présage ?

De toute la journée je ne me risquai pas dans son voisinage. Vers le soir, j’étais assis dans mon bosquet et aperçus tout à coup sa piquante petite tête rousse à travers les vertes plantes grimpantes de son balcon.

« Pourquoi ne venez-vous pas ? » s’écria-t-elle d’en haut, impatientée.

J’escaladai le perron ; arrivé tout en haut, je perdis de nouveau courage et frappai timidement. Elle ne dit pas : « entrez », mais ouvrit et vint sur le seuil.

« Où est ma pantoufle ?

  • Elle est… j’ai… je veux… balbutiai-je.

  • Allez la chercher, puis nous prendrons le thé ensemble et nous jaserons. »

Comme je revenais, elle était occupée à faire le thé. Je posai la pantoufle solennellement sur la table et me tins dans un coin, comme un e n f a n t qui attend sa correction. Je remarquai que son front était un peu plissé et que sa bouche avait une expression tant soit peu sévère, impérieuse, qui me ravit.

Elle se mit encore une fois à éclater de rire.

« Ainsi… vous êtes vraiment amoureux… de moi ?

  • Oui, et j’en souffre plus que vous ne le soupçonnez.

  • Vous souffrez ? » Et elle rit de nouveau.

J’étais révolté, confus, anéanti, mais bien inutilement.

« Qu’y a-t-il ? Poursuivit-elle, je suis bonne envers vous, toute de coeur. » Elle me donna la main et m’examina amicalement.

« Et vous voulez devenir ma femme ? »

Wanda me regarda - oui, de quel œil elle me considéra ! - Elle me parut surtout stupéfaite et aussi un peu railleuse.

« D’où vous vient maintenant autant d’audace ? fit-elle .

  • Audace ?

  • Certes oui, une audace sans égale, de prendre femme, et particulièrement moi ! » Elle leva en l’air la pantoufle. « Vous êtes-vous si vite familiarisé avec ça ? Mais plaisanterie à part. Voulez-vous vraiment m’épouser ?

  • Oui.

  • Alors Séverine, c’est une histoire sincère. Je crois que je vous suis chère, comme vous-même me l’êtes, et ce qui est mieux encore, nous nous intéressons l’un à l’autre ; il n’y a actuellement aucun danger que nous nous ennuyions, mais vous le savez, je suis une femme frivole, et par cela même je prends le mariage fort au sérieux, et si j’assume des devoirs, je veux aussi pouvoir les remplir. Mais je crains - non - que cela ne vous porte malheur.

  • Je vous prie, soyez loyale envers moi, repris-je.

  • Je vous ai loyalement parlé. Je ne crois pas pouvoir aimer un homme plus longtemps… que… » elle inclina sa petite tête de côté d’un air découragé et réfléchit.

« Qu’un an ?

  • À quoi pensez-vous ?… Un mois peut-être.

  • Non pas moi ?

  • Vous…, deux mois peut-être.

  • Deux mois ! m’écriai-je.

  • Deux mois, c’est fort long.

  • Madame, c’est là un mot digne de l’antique.

  • Vous voyez bien, vous ne supportez pas la vérité. »

Wanda traversa la chambre, puis s’appuya de nouveau contre la cheminée et me regarda, tout en posant son bras sur le marbre.

« Que voulez-vous que je fasse de vous ? reprit-elle .

  • Ce que vous voudrez, répliquai-je avec résignation, ce qui vous fera plaisir ?

  • Que vous êtes inconséquent ! s’écria-t-elle ; d’abord, vous me voulez pour femme, puis vous vous offrez à moi comme un jouet.

  • Wanda, je vous aime !

  • Nous voici encore au point où nous avons commencé. Vous m’aimez et me voulez pour femme, mais je ne veux contracter aucun nouveau mariage, parce que je doute que mes sentiments et les vôtres puissent être durables.

  • Mais si j’en veux courir le risque avec vous ? repris-je .

  • Alors, il s’agit encore de savoir si moi-même j’entends courir ce risque avec vous, fit-elle tranquillement ; je puis fort bien songer à appartenir pour la vie à un homme, mais ce dernier doit être un homme complet, un homme qui m’en impose, qui me subjugue par la f o r c e de son caractère, comprenez-vous ? et cet homme - je connais cela - deviendra, dès qu’il sera épris, faible, souple, ridicule ; se livrera aux mains de la femme, se mettra à genoux devant elle, tandis que moi je ne pourrais aimer d’une façon durable que l’homme devant qui je me mettrais à genoux. Cependant, vous m’êtes devenu si cher, que je veux en faire l’essai avec vous. »

Je tombai à ses pieds.

« Mon Dieu ! vous voilà déjà sur les genoux, dit-elle d’un ton railleur, vous commencez bien ! » et, comme je m’étais de nouveau relevé, elle ajouta : « Je vous donne un an pour me conquérir, me convaincre que nous pouvons nous entendre l’un l’autre et vivre ensemble. Réussissez, alors je serai votre femme et une femme, Séverine, qui remplira ses devoirs strictement et consciencieusement ; pendant cette année nous vivrons comme si nous étions mariés. »

Le s a n g me monta à la tête. Ses joues s’embrasèrent tout d’un coup.

« Nous vivrons ensemble, ajouta-t-elle ; nous partagerons toutes nos habitudes, pour voir si nous pouvons nous retrouver l’un en l’autre. Je vous accorde tous les droits d’un époux, d’un adorateur, d’un Ami. Êtes-vous satisfait ?

  • Je dois l’être.

  • Vous ne devez pas.

  • Mais je veux.

  • À merveille. C’est ainsi que parle un homme. Alors, prenez ma main. »

Depuis dix jours, je ne passe pas une heure sans elle, excepté les nuits. Je brûle constamment du désir de contempler ses yeux, de tenir ses mains dans les miennes, d’écouter ses paroles, de lui tenir compagnie en tout temps et en tous lieux.

Mon amour me fait l’effet d’un gouffre, d’un abîme sans fond, dans lequel je m’enfonce toujours davantage, d’où je ne puis déjà plus maintenant me tirer.

Nous nous sommes couchés aujourd’hui à minuit aux pieds de la statue de Vénus dans la prairie, j’ai cueilli des fleurs que j’ai mises sur ses genoux et dont elle a tressé des couronnes, avec lesquelles nous avons orné notre déesse.

Soudain Wanda me parut si troublante que, sur-le-champ, les flammes de ma passion envahirent tout mon être. Incapable de me maîtriser plus longtemps, je l’entourai de mes bras et me suspendis à ses lèvres. Quant à elle, elle me pressa sur son sein palpitant.

« Êtes-vous fâchée ? demandai-je alors.

  • Je ne serai jamais fâchée de ce qui est naturel, répondit-elle, mais je crains que vous ne souffriez.

  • Oh ! je souffre effroyablement.

  • Pauvre ami ! - elle m’écarta du front les cheveux en désordre - mais j’espère que je n’y suis pour rien.

  • Non pas, répondis-je, et cependant mon amour pour vous et devenu une sorte de démence. La pensée que je puis vous perdre, ou que vous soyez peut-être réellement perdue pour moi, me t o r t u r e nuit et jour.

  • Mais vous ne me possédez nullement », dit Wanda, et elle me regarda de nouveau avec des yeux langoureux, humides, dévorés de passion, qui déjà une fois m’avaient ravi, puis elle se leva et plaça de ses petites mains diaphanes une couronne d’anémones bleues sur la blanche tête bouclée de Vénus.

Presque sans le vouloir j’enlaçai son corps de mon bras.

« Je ne puis plus exister sans toi, ma belle femme, fis-je ; crois-moi, cette fois-ci, ce n’est pas là une vraie phrase, une pure fantaisie ; je sens au plus profond de mon cœur combien ma vie est étroitement liée à la tienne ; si tu te sépares de moi, j’en mourrai, j’irai sous terre.

  • Mais cela ne sera pas du tout nécessaire, puisque je t’aime, cher homme - elle me prit par le menton - pauvre fou !

  • Mais tu ne veux être à moi que sous conditions, tandis que je t’appartiens sans condition.

  • Cela n’est pas bien, Séverine, répondit-elle, presque consternée ; alors, vous ne me connaissez pas encore, ne voulez-vous pas apprendre à me connaître tout à fait ? Je suis bonne, quand on me traite sincèrement et raisonnablement, mais si on se livre trop à moi, je deviens arrogante.

  • Soyez-le donc, soyez arrogante, soyez despote, criai-je complètement exalté ; seulement soyez à moi, soyez mienne à jamais ! »

Je me jetai à ses pieds et étreignis ses genoux.

  • Cela finira mal, mon ami, dit-elle sévèrement, sans s’exciter.

  • Oh ! que cela puisse même ne jamais finir », m’écriai-je hors de moi, fou d’amour, « la mort seule peut nous séparer. Si tu ne veux pas être à moi, toute à moi et à tout jamais, je veux être ton esclave, te servir, tout supporter de toi, mais ne me repousse pas.

  • Calmez-vous donc, dit-elle, courbez-vous devant moi et embrassez-moi sur le front. Je vous suis certes dévouée de coeur, mais ceci n’est pas le moyen de me conquérir et de me conserver.

  • Je ferai tout ce que vous voudrez, mais ne veux jamais vous perdre, m’écriai-je ; cela je ne le veux pas, cette idée-là me…

  • Relevez-vous donc. »

J’obéis.

« Vous êtes vraiment un homme bizarre, ajouta Wanda, vous voulez alors me posséder à ce prix ?

  • Oui, à tout prix.

  • Mais quelle valeur aurait ma possession pour vous… » Elle réfléchit, ses yeux prirent une expression inquiète et méfiante, « si je ne vous aimais plus, si je voulais appartenir à un autre ? »

Cela me renversa. Je la considérai : son attitude était ferme et consciente d’elle-même et ses yeux me regardaient froidement.

« Voyez-vous, continua-t-elle, cette pensée vous fait peur. »

Un sourire bienveillant illumina tout à coup son visage.

« Oui, cela me fait horreur de me figurer qu’une femme que j’aime, qui a répondu à mon amour, se donne à un autre sans aucune pitié pour moi ; mais il me reste encore une alternative. Si j’aime cette femme, je l’aime follement, je lui tournerai fièrement le dos et mon énergie me mènera à la tombe : je me logerai une balle dans la tête. J’ai deux idéals de la femme. Ne saurais-je rencontrer une femme qui, fidèle et bienveillante, partage mon brillant et généreux sort, puisque maintenant celle qui le partage ne le fait que mollement ou timidement ! Alors, je préfère tomber aux mains d’une femme sans vertu, inconstante et sans pitié. Une telle femme dans son immense égoïsme est encore un idéal. Ne puis-je encore pleinement et entièrement jouir du bonheur de l’amour ?… Alors, il me faut épuiser jusqu’au bout la coupe des souffrances et des t o r t u r e s ; alors, il me faut être maltraité et trahi par la femme que j’aime, et le plus cruellement, mieux cela sera. C’est une vraie jouissance !

  • Rêvez-vous ? cria Wanda.

  • Je vous aime tellement de toute mon âme, ajoutai-je, de tout mon cœur, que votre voisinage, votre atmosphère me sont indispensables, si je dois vivre encore. Choisissez donc entre mes idéaux. Faites de moi ce que vous voudrez : votre mari ou votre esclave.

  • Fort bien », fit Wanda, fronçant ses petits, mais énergiques sourcils, « je trouve fort amusant de tenir tellement en sujétion un homme qui m’intéresse, qui m’aime ; du moins, il ne me manquera pas de divertissement. Vous avez été bien imprévoyant de me laisser le choix. Je choisis donc, je veux que vous soyez mon esclave, je veux faire de vous mon jouet !

  • Oh ! Faites de moi ce jouet, m’écriai-je, moitié épouvanté, moitié en colère, si une union peut être fondée sur la concordance des idées, par contre les plus grandes passions proviennent des contrastes. Nous sommes de tels contrastes, se dressant hostilement l’un contre l’autre ; c’est pourquoi, s’il me faut partager cet amour, il m’est odieux, il me fait peur. Étant donné cet état de choses, je ne puis être que l’enclume ou le marteau. Je veux être l’enclume. Je ne puis être heureux hors de vue de l’objet aimé. Je pourrais aimer une femme, mais ne le pourrais seulement que si elle m’est cruelle.

  • Mais, Séverine, reprit Wanda presque courroucée, me croyez-vous capable de maltraiter un homme qui m’aime comme vous m’aimez et que j’aime moi-même ?

  • Pourquoi pas, puisque c’est précisément pour cela que je vous adore tant ? On ne peut aimer que ce qui est au-dessus de soi ; une femme qui nous écrase par sa beauté, son tempérament, son esprit, sa force de volonté ; qui se montre une despote vis-à-vis de nous !

  • Ainsi, ce qui fait fuir les autres, vous le recherchez !

  • Parfaitement ! C’est même ce qui constitue mon originalité.

  • Vos passions n’offrent rien d’original ou de bizarre ; car à qui ne plaît pas une belle fourrure ? Et celui à qui elle plaît sait et ressent quels proches parents sont la volupté et la cruauté.

  • Mais, chez moi, tout ceci et arrivé à l’apogée, répondis-je.

  • Cela veut dire que la raison a peu de prise sur vous et que vous êtes une nature molle et sensuelle, pleine de laisser-aller.

  • Les martyrs, selon vous, étaient aussi des hommes d’une nature molle et sensuelle.

  • Les martyrs ?

  • Au contraire, car c’étaient des hommes dénués de sensualité, éprouvant du plaisir dans les souffrances, et qui recherchaient d’effroyables t o r t u r e s, la mort même, comme d’autres recherchent la joie ; or, je suis de ces hommes, Madame, de ces hommes dénués de sensualité.

  • Prenez donc bien garde de ne pas être également, pour cette raison, un martyr de l’amour… le martyr d’une femme. »

Au cours d’une tiède nuit d’été parfumée, nous sommes assis sur le petit balcon de Wanda ; un double toit s’élève au dessus de nos têtes : la verte frondaison des plantes grimpantes et les innombrables étoiles qui parsemaient le ciel. Au fond du parc se fait entendre le lent et lamentablement amoureux appel d’un chat, tandis qu’assis aux pieds de ma déesse, je l’entretiens de ma jeunesse.

« Et alors vous étiez déjà marqué au coin de toutes ces originalités ? demanda Wanda.

  • Certainement, j’étais ainsi du plus longtemps que je me souviens ; même au berceau, m’a raconté ma mère, j’étais bizarre : je refusai le sein de ma plantureuse et saine nourrice, et l’on dut me nourrir de lait de chèvre. Tout petit garçon, j’éprouvais pour les femmes une frayeur inexprimable qu’expliquait précisément l’impatient intérêt qu’elles m’inspiraient… La voûte grise, la demi-obscurité d’une église, alarmaient mon âme, et une angoisse solennelle s’emparait de mon être devant les autels resplendissants de lumières et les saintes images. En revanche, je me glissais furtivement comme pour jouir d’une sorte de plaisir défendu auprès d’une Vénus de plâtre qui se trouvait dans la petite bibliothèque de mon père, devant laquelle je m’agenouillais et à laquelle j’adressais les prières que l’on m’avait enseignées : Notre Père, Je vous salue Marie et le Credo.

Une fois, je quittai mon lit pour la retrouver, le croissant de la lune m’éclairait et enveloppait la déesse d’une froide lumière bleu pâle. Je me jetai de nouveau devant elle et embrassai ses pieds glacés, comme je l’avais vu faire à nos paysans, quand ils embrassaient les pieds du Sauveur mort.

Un désir ardent et invincible s’empara de moi. Je me hissai et étreignis son beau corps glacé et embrassai ses froides lèvres et je songeai que la déesse se tenait devant ma couche et que son bras levé me menaçait.

On m’envoya de fort bonne heure à l’école et je ne tardai pas à entrer au collège où je m’adonnai passionnément à tout ce qui promettait de me fournir des explications sur le monde antique.

Je fus bientôt plus familier avec les dieux de la Grèce qu’avec la religion de Jésus, avec Pâris je donnai à Vénus la pomme fatale, je vis Troie brûler et suivis Ulysse dans sa course vagabonde. Les images de tout ce qui et beau s’imprimaient profondément dans mon âme, et, à un âge où les autres garçons se conduisent grossièrement et improprement, je témoignais de l’horreur pour tout ce qui est bas, vulgaire et laid.

L’amour de la femme paraît quelque chose de tout particulièrement bas et laid à un jeune homme, si la femme se montre tout d’abord à lui dans sa pleine trivialité. J’évitais donc tout contact avec le beau sexe ; en somme, j’étais idéaliste jusqu’à la démence.

Ma mère avait une ravissante femme de chambre, jeune, jolie et de formes plantureuses ; j’avais alors environ treize ans. Un certain matin, j’étudiais Tacite et m’extasiais au sujet des vertus des anciens Germains ; la petite nettoyait près de moi ; tout à coup, elle s’arrêta net, se pencha vers moi, le balai à la main, et deux fraîches, superbes lèvres touchèrent les miennes. Le baiser de l’amoureuse petite chatte fit tressaillir tout mon être, mais je tins mon Germania comme un bouclier contre la séductrice et m’en allai, quittait la chambre.

Wanda éclata de rire.

Vous êtes en effet un homme rare : pour trouver votre semblable, il faudrait aller loin.

  • Une autre scène de cette époque m’est restée présente à l’esprit d’une façon inoubliable, racontai-je de nouveau ; la comtesse Sobol, une de mes tantes éloignées, vint en visite chez mes parents : c’était une belle et majestueuse femme au rire séduisant ; mais je la détestais, car elle passait dans la famille pour une Messaline, et me traitait aussi insolemment, méchamment et maladroitement qu’il lui était possible.

Un jour, mes parents étaient allés au chef-lieu. Ma tante résolut de profiter de leur absence pour exécuter la sentence qu’elle avait passée sur moi. Inopinément, vêtue de sa kazabaïka [ Petite jaquette de velours de couleur garnie de fourrure, en usage chez les femmes slaves.] doublée de fourrure, elle entra, suivie de la cuisinière, de la fille de cuisine et de la petite chatte que j’avais dédaignée. Sans rien demander, elles me saisirent et, en dépit de ma violente résistance, m’attachèrent les pieds et les mains, puis, avec un mauvais rire, ma tante releva ses manches et se mit à me fouetter avec une grosse baguette, et elle frappa si fort que le sang coula et qu’à la fin, malgré mon courage, je criai, pleurai et demandai grâce. Là-dessus elle me fit délier, mais je dus m’agenouiller devant elle pour la remercier de la correction et lui baiser la main.

Voyez-vous, maintenant, le fou dépourvu de sensations ? Sous la baguette de la belle et lascive femme, qui, dans sa jaquette de fourrure, m’apparaissait comme une reine courroucée, pour la première fois la sensation de la femme s’éveilla en moi, et ma tante me parut, dès ce moment, la femme la plus attrayante que Dieu ait jamais mise sur terre.

Mon austérité à la Caton, mon horreur de la femme, avaient fait place à un sentiment du beau poussé au plus haut degré ; ma sensualité devenait maintenant dans mon imagination une culture artistique, et je me jurai de ne pas prodiguer ces émotions sacrées envers un être vulgaire, mais de les réserver pour une femme idéale, ou peut-être pour la déesse d’amour elle-même.

J’entrai fort jeune à l’université, laquelle se trouvait précisément dans la ville principale où résidait ma tante. Ma chambre ressemblait alors à celle du docteur Faust. Tout y était pêle-mêle et confus, de hautes armoires bourrées de livres que j’avais achetés pour un prix dérisoire chez un bouquiniste de la Cervanica [Quartier de Lemberg habité par les juifs.], des sphères, des atlas, des fioles, des cartes célestes, des squelettes d’animaux, des têtes de mort, des bustes de personnages célèbres. Derrière le grand poêle vert aurait pu se détacher la silhouette de Méphistophélès en étudiant errant.

J’étudiais tout ensemble, sans système, sans choix la chimie, l’alchimie, 1’histoire, l’astronomie, la philosophie, la science du droit, l’anatomie et la littérature ; je lisais Homère, Virgile, Schiller, Goethe, Shakespeare, Cervantès, Voltaire, Molière, le Coran, le Cosmos, les Mémoires de Casanova. Je devenais chaque jour plus confus, plus fantasque et plus ultra-sensualiste. Et toujours j’avais une belle femme idéale en tête, qui, de temps en temps m’apparaissait comme une vision couchée sur des roses, entourée d’amours, entre mes reliures de cuir et mes ossements ; tantôt en toilette olympienne, avec le visage éblouissant de blancheur de la Vénus en plâtre, tantôt avec les luxuriantes nattes brunes, les yeux bleus rieurs et la kazabaïka de velours rouge bordé d’hermine de ma belle tante.

Un matin, que la déesse m’était apparue dans la pleine et souriante séduction de ses charmes sur le nuage doré de mon imagination, je me rendis chez la comtesse Sobol, qui me reçut amicalement, voire cordialement et me donna, comme un gage de bienvenue, un baiser qui bouleversa mes sens. Elle avait maintenant tout près de quarante ans, mais, comme la plupart des femmes fortement constituées, était encore fort désirable. Elle portait constamment une jaquette garnie de fourrure ; cette fois-ci, le vêtement était en velours vert garni de martre, mais rien ne lui restait plus de cette rigueur qui jadis m’avait enthousiasmé.

Au contraire, elle se montra si peu cruelle à mon égard que, sans beaucoup de cérémonies, elle m’accorda la permission de… l’adorer.

« Elle se rendit bientôt compte de ma niaiserie ultra-sensualiste, et cela lui fit plaisir de me rendre heureux. Quant à moi, j’étais ravi comme un jeune dieu. Quelle jouissance, pour moi, lorsque agenouillé devant elle j’osai baiser ces mêmes mains qui jadis m’avaient châtié ! Ah ! quelles mains merveilleuses ! Si bien faites, si fines, en même temps si dodues et si blanches, et quelles délicieuses petites fossettes ! J’étais vraiment épris de ces mains. Je m’amusais avec elles, les enfonçais et les sortais de la sombre fourrure ; je les tenais contre la flamme et ne pouvais me rassasier de les voir. »

Wanda considéra involontairement ses mains, je le remarquai et ne pus m’empêcher de rire.

« Vous voyez par là combien, à cette époque, l’ultra-sensualisme prédominait chez moi, puisque, chez ma tante, j’étais épris des cruels coups de verge que j’en avais reçus, comme je le fus, deux ans plus tard, des rôles d’une jeune actrice à qui je faisais la cour. Je me suis également pris de passion pour une dame fort respectable, qui jouait à la vertu inabordable, pour me trahir finalement avec un riche Juif. Voyez-vous donc que je serais trompé, vendu par une femme, qui feindrait les principes les plus austères, les sentiments les plus idéalistes ; c’est pourquoi je hais tellement ces sortes de vertus poétiques, sentimentales ; donnez-moi une femme assez honorable pour me dire : Je suis une Pompadour, une Lucrèce Borgia, et je l’adorerai. »

Wanda se leva et ouvrit la fenêtre.

« Vous avez une singulière façon d’échauffer l’imagination, d’exciter tous les nerfs de quelqu’un, de faire battre le pouls toujours plus fort. Vous entourez le vice d’une auréole, quand il lui arrive d’être respectable. Votre idéal est une courtisane effrontément géniale ; oh ! vous êtes pour moi l’homme à corrompre une femme jusqu’aux moelles ! »

Au milieu de la nuit, on frappa à ma fenêtre ; je me levai, ouvris et aussitôt tressaillis d’effroi. Dehors se tenait Vénus à la fourrure, presque comme elle m’était apparue la première fois.

« Vous m’avez agitée avec vos histoires, j’ai roulé sur mon lit et ne puis dormir, dit-elle, venez me tenir compagnie.

  • Tout de suite. »

Comme j’entrai, Wanda était accroupie devant la cheminée, dans laquelle elle avait allumé une petite flambée.

« L’automne s’annonce, commença-t-elle, les nuits sont absolument fraîches. Je crains de vous déplaire, mais je ne puis enlever ma fourrure avant que la pièce soit suffisamment chaude.

  • Vous, me déplaire. Friponne ! Vous savez bien… »

Je jetai mon bras autour d’elle et l’embrassai.

« Sans doute, je sais, mais d’où vous vient cette prédilection pour la fourrure ?

  • C’est inné chez moi, répondis-je ; déjà, étant enfant, je faisais montre de cette prédilection. Du reste, la fourrure exerce une action excitante sur toutes les natures nerveuses, et cette action s’exerce même en général comme les lois physiques. C’est une attraction physique, du moins aussi bizarre qu’elle et excitante. En ces tout derniers temps, la science a découvert une certaine parenté entre l’électricité et la chaleur, et l’action que chacune exerce sur l’organisme humain se rapproche de l’autre. La zone torride engendre des hommes passionnés, une chaude atmosphère l’exaltation. Il en va exactement de même pour l’électricité.

« La compagnie des chats exerce des effets bienfaisants et qui tiennent du sortilège sur les natures excitables, et il n’est pas étonnant que ces charmantes créatures, ces jolies batteries vivantes d’électricité soient devenues les favorites de Mohamed, du cardinal Richelieu, de Crébillon, de Rousseau, de Wieland, etc.

  • Une femme qui porte une fourrure, s’écria Wanda, n’est pas non plus autre chose qu’un gros chat, une très forte batterie électrique !

  • Certainement, répondis-je, et c’est ainsi que je m’explique aussi la signification symbolique qui de la fourrure a fait l’attribution de la puissance et de la beauté. C’est dans cet esprit qu’aux premiers âges du monde, les monarques l’adoptèrent et qu’une tyrannique noblesse eut la prétention de la réserver, au moyen d’ordonnances somptuaires, comme son privilège exclusif, de même que les grands peintres en firent le symbole des reines de la beauté. C’est ainsi que nous voyons Raphaël pour les formes divines de la Fornarine, et le Titien pour le corps rosé de sa bien-aimée, ne pas trouver de cadre plus précieux qu’une sombre fourrure.

  • Je vous remercie de cette dissertation érotique, dit Wanda, mais vous ne m’avez pas tout dit, vous ajoutez encore quelque autre sens tout particulier à la fourrure.

  • Sans doute, m’écriai-je, je vous ai déjà dit et répété que la douleur possède pour moi un charme rare ; que rien autant que la tyrannie, la cruauté, et avant tout l’infidélité d’une belle femme, n’est à même d’allumer ma passion. Et je puis m’imaginer cette femme, cet étrange idéal d’une hideuse esthétique, cette âme d’un Néron dans le corps d’une Phryné.

  • Je comprends, répliqua Wanda, cela donne à une femme quelque chose d’impérieux, d’imposant.

  • Ce n’est pas tout, continuai-je ; vous savez que je suis un « ultra-sensualite », que chez moi toute conception procède davantage de l’imagination et se nourrit de chimères. De bonne heure, j’ai été développé et surexcité dans ce sens, alors que, vers dix ans environ, on me mit en mains la Vie des Martyrs ; je me rappelle que je lisais avec une horreur, qui constituait pour moi un véritable ravissement, comment ils languissaient en prison, étaient étendus sur le gril, percés de flèches, bouillis dans la poix, livrés aux bêtes, mis en croix, et enduraient les plus grandes atrocités avec une sorte de joie. Souffrir, supporter de cruelles tortures, me parut désormais une espèce de jouissance, et tout particulièrement si ces tortures étaient infligées par l’intermédiaire d’une jolie femme, et c’est particulièrement ainsi que de tout temps, pour moi, toute poésie et toute infamie sont concentrées dans la femme. Je lui ai voué un culte.

« Je voyais dans la sensualité quelque chose de sacré, voire la seule chose sacrée ; dans la femme et dans sa beauté, quelque chose de divin ; en elle le problème le plus important de l’existence : la propagation de l’espèce et avant tout sa vocation ; je voyais dans la femme la personnification de la nature, l’Isis, et dans l’homme son prêtre, son esclave, et je voyais la femme cruelle envers lui comme la nature, qui éloigne de soi ce qui lui a servi aussitôt qu’elle n’en a plus besoin, tandis que pour l’homme les mauvais traitements, la mort même infligée par la femme, deviennent encore de vraies délices.

« J’enviais le roi Gunther, que la fâcheuse Brunehilde attacha pendant sa nuit de noce ; le pauvre troubadour, que sa gaie dame faisait coudre dans une peau de loup, pour le poursuivre comme un fauve ; j’enviais le chevalier Etiard que l’audacieuse amazone Scharka fit prisonnier par ruse dans le bois près de Prague, entraîna dans le manoir Divin, et, après qu’elle eut passé quelque temps avec lui, le fit attacher sur la roue.

  • Affreux ! s’écria Wanda, je vous souhaiterais de tomber aux mains d’une femme de cette race sauvage, et revêtu d’une peau de loup, d’être livré à la dent des chiens ou jeté sur la roue, pour vous alors toute poésie disparaîtrait.

  • Vous croyez ? moi, je ne crois pas.

  • Vous n’êtes vraiment pas dans votre bon sens.

  • Cela se peut. Mais, écoutez-moi ; je lus désormais avec une véritable avidité des histoires, dans lesquelles les plus épouvantables cruautés étaient dépeintes, et regardai avec un attrait tout spécial les images et les gravures qui les représentaient, et je voyais tous les tyrans sanguinaires qui sur un trône s’assirent, les inquisiteurs qui infligèrent la question aux hérétiques, les firent brûler vifs, égorger, toutes ces femmes que l’histoire du monde nous montre avoir été dépravées, belles et despotiques, telles que Libussa, Lucrèce Borgia, Agnès de Hongrie, la reine Margot, Isabeau, la sultane Roxelane, les tzarines russes du siècle passé, tous vêtus de fourrures ou de robes garnies d’hermine.

  • Ainsi, une fourrure éveille toujours vos étranges visions ! » s’écria Wanda, et elle commença de nouveau à se draper coquettement dans son superbe manteau de fourrure, de sorte que la pelisse de zibeline aux sombres reflets dessinait à ravir son buste et ses bras. « Eh bien ! dans quel état vous trouvez-vous maintenant, vous sentez-vous déjà à moitié rompu ? »

Ses yeux verts et pénétrants s’arrêtèrent sur moi avec une étrange et douce complaisance, alors que, transporté de passion, je me prosternai devant elle et jetai mes bras autour d’elle.

« Oui, vous avez réveillé chez moi, m’écriai-je, mes fantaisies favorites, depuis longtemps endormies.

  • Et que sont-elles ? » Elle posa la main sur ma nuque. »

Sous cette chaude petite main, sous ce regard qui me scrutait tendrement à travers les paupières mi-closes, une douce ivresse s’empara de moi.

« Être l’esclave d’une femme, d’une belle femme, voilà ce que j’aime, ce que j’adore.

  • Et pour cela, elle vous maltraite ! m’interrompit Wanda en riant.

  • Oui, elle m’attache et me fouette, et me donne des coups de pieds, alors qu’elle appartient à un autre.

  • Et, quand rendu fou par jalousie, vous la disputez au rival heureux, elle pousse l’arrogance jusqu’à vous vendre à ce même rival et à lui donner le prix de sa barbarie… Pourquoi pas ? Ce tableau final vous plaît peu ? »

Je regardai Wanda avec effroi.

  • Vous dépassez mes rêves.

  • Oui, nous autres femmes nous sommes ingénieuses, dit-elle, prenez garde quand vous aurez trouvé votre idéal, cela peut arriver, qu’il vous traite plus cruellement que vous ne le rêvez.

  • Je crains d’avoir déjà trouvé mon idéal ! m’écriai-je, et j’enfonçai ma tête brûlante dans son sein.

  • Pas encore en moi ! » fit Wanda. Elle jeta bas la fourrure et se mit à sauter en riant par la chambre ; elle riait toujours tandis que je descendais l’escalier, et j’étais encore mi-vêtu, plongé que j’étais dans mes réflexions, que j’entendais encore en haut son rire malicieux et fou.

« Pourrai-je ainsi à vos yeux incarner votre idéal ? » dit Wanda d’un air espiègle, quand nous nous rencontrâmes dans le parc le lendemain. »

Tout d’abord, je restai interdit. J’étais en proie aux sentiments les plus contraires. Entre-temps, elle se laissa tomber sur un des bancs de pierre et se mit à jouer avec une fleur.

« Eh bien, le pourrai-je ? »

Je me jetai à genoux et saisis ses mains.

« Je vous prie encore une fois, devenez ma femme, ma fidèle et honorée femme ; ne le pouvez-vous pas, car vous êtes mon idéal, absolument, sans arrière-pensée, telle que vous êtes ?

  • Vous savez que dans un an ma main vous sera donnée, si vous êtes l’homme que je cherche, répondit Wanda fort sérieusement, mais j’espère que vous me serez reconnaissant si je réalise votre rêve. Maintenant, que préférez-vous ?

  • Je crois que tout ce qui flotte dans mon imagination se retrouve dans votre nature.

  • Vous vous trompez.

  • Je crois, continuai-je, que cela vous fait plaisir d’avoir en main un homme à torturer à votre guise.

  • Non, non ! cria-t-elle vivement, ou encore… » Elle réfléchit. « Je ne me comprends plus, continua-t-elle, mais je dois vous faire une confession. Vous avez détruit mon rêve, mon sang s’échauffe, je commence à n’éprouver nul autre plaisir, des délices semblables à l’enthousiasme avec lequel vous parlez d’une Pompadour, d’une Catherine II et de toutes les autres femmes égoïstes, frivoles et cruelles ; cela m’excite, cela entre dans mon âme et me pousse à devenir semblable à ces femmes qui, malgré leur méchanceté, furent, tant qu’elles vécurent, adorées servilement et font encore des miracles dans la tombe. Enfin, faites encore de moi une despote au petit pied, une Pompadour à l’usage domestique.

  • En somme, dis-je, poussé à bout, si cela est en vous, laissez-vous aller à l’impulsion de votre nature, mais pas à demi ; si vous ne pouvez être une brave et fidèle femme, soyez un démon ! »

J’étais défait, surexcité, la proximité de la belle dame déterminait chez moi comme un accès de fièvre, je ne savais plus ce que je disais, mais je me rappelle que je baisai ses pieds et qu’enfin je levai son pied et le posai sur ma nuque. Mais elle le retira précipitamment et se leva presque fâchée.

« Si vous m’aimez, Séverine, dit-elle vivement - sa voix sifflait, incisive et impérieuse - ne parlez plus de ces choses. M’entendez-vous ?… Jamais plus. Je pourrais à la fin vraiment… » Elle se mit à rire et s’assit de nouveau.

« Je parle très sérieusement, m’écriai-je mi-rêveur, je vous adore tellement que je veux tout supporter de vous, pourvu que je puisse passer toute ma vie auprès de vous.

  • Séverine, je vous préviens encore une fois.

  • Vous me prévenez inutilement. Faites de moi ce que vous voudrez, mais ne m’éloignez pas tout à fait de vous.

  • Séverine, répartit Wanda, je suis une femme jeune et étourdie ; il est dangereux pour vous de vous livrer si complètement à moi, vous deviendrez réellement à la fin mon jouet ; qui vous assure alors que je n’abuserai pas de votre démence ?

  • Votre noble conduite.

  • Le pouvoir rend insolent.

  • Soyez donc insolente, m’écriai-je, foulez-moi aux pieds ! »

Wanda m’entoura le cou de ses bras, me regarda dans les yeux et secoua la tête :

« J’ai peur de ne pouvoir le faire, mais je veux l’essayer, pour toi mon bien-aimé, car je t’aime, Séverine, comme je n’ai jamais aimé aucun homme ! »

Elle a pris aujourd’hui tout à coup son châle et son chapeau et j’ai dû l’accompagner au bazar. Là, elle se fit montrer des fouets, de grands fouets à manche court, comme on en a pour les chiens.

« Ceux-ci seront suffisants, dit le vendeur.

  • Non, ils sont beaucoup trop petits, répondit Wanda en me lançant un regard de côté, j’en veux un grand.

  • Pour un bouledogue alors ? répliqua le marchand.

  • Oui, s’écria-t-elle, dans le genre de ceux qu’on avait en Russie pour les esclaves rebelles ! »

Elle chercha et choisit enfin un fouet ; son allure trahissait quelque chose d’inquiétant qui me surprit.

« Maintenant, adieu, Séverine, dit-elle, j’ai encore quelques autres emplettes à faire, pour lesquelles vous n’avez pas besoin de m’accompagner. »

Je pris congé et fis une promenade ; à mon retour, j’aperçus Wanda quittant la boutique d’un fourreur. Elle me fit signe.

« Réfléchissez encore bien à ceci, commença-t-elle gaiement, je ne vous en ai jamais fait mystère, à savoir que votre manière d’être grave et rêveuse me captive tout particulièrement maintenant ; cela, certes, me ravit de voir un homme sincère se livrer tout à moi, oui, franchement s’extasier à mes pieds, mais cet enchantement persistera-t-il ? La femme aime l’homme, elle maltraite l’esclave et, finalement, le repousse du pied.

  • Alors, repousse-moi du pied si tu as assez de moi, répondis-je, je veux être ton esclave.

  • Je vois que des desseins dangereux sommeillent en moi, dit Wanda, après que nous eûmes encore fait quelques pas ; tu les éveilles et non à ton avantage, tu le comprends, toi si habile à dépeindre la poursuite de la jouissance, la cruauté, l’orgueil ; que dirais-tu, si je m’y essayais et cela tout d’abord envers toi, comme Denys, qui lit d’abord rôtir l’inventeur du boeuf d’airain dans ce même appareil, afin de s’assurer si ses plaintes, ses râles de mort ressemblaient vraiment au mugissement d’un boeuf ? Peut-être suis-je un Denys femelle ?

  • Sois-le, m’écriai-je, alors mon rêve sera réalisé. Je t’appartiens en bien ou en mal, choisis toi-même. La fatalité me pousse, elle est dans mon cœur, diabolique, toute-puissante. »

« Mon bien-aimé !

« Je ne te verrai ni aujourd’hui ni demain, mais après-demain soir seulement et alors comme mon esclave.

« Ta maîtresse,

« Wanda. »

« Comme mon esclave » était souligné. Je lus encore une fois le billet, reçu de bonne heure le matin, me fis seller un âne, une véritable bête savante, et allai dans la montagne afin d’étourdir ma douleur, de tromper mes ardents désirs au milieu de la grandiose nature des Karpates.

Me voici de retour, fatigué, affamé, mourant de soif et, par-dessus tout, amoureux. Je m’habille à la hâte et frappe peu d’instants après à sa porte.

« Entrez ! »

J’entrai. Elle se tenait au milieu de la pièce, les bras croisés sur la poitrine, les sourcils froncés, vêtue d’une robe de satin blanc éblouissante comme le jour, et d’une kazabaïka de satin rouge écarlate, garnie de riche et superbe hermine ; sur ses cheveux poudrés et blancs comme neige, reposait un diadème en diamants.

« Wanda ! »

Je m’empressai vers elle, voulus l’entourer de mon bras, l’embrasser ; elle fit un pas en arrière et me toisa de haut en bas.

« Esclave !

  • Maîtresse ! »

Je m’agenouillai et baisai le bord de sa robe.

« C’est bien.

  • Oh ! que tu es belle !

  • Te plais-je ? »

Elle s’avança devant le miroir et se contempla avec une hautaine satisfaction.

« Je deviens fou ! »

Elle remua dédaigneusement la lèvre inférieure et me considéra railleusement à travers ses paupières mi-closes.

« Donne-moi le fouet. »

Je regardai tout autour de la chambre.

« Non, s’écria-t-elle, reste à genoux ! »

Elle alla vers la cheminée, y prit le fouet, et, me considérant en riant, le fit siffler en l’air, puis elle retroussa lentement les manches de sa jaquette fourrée.

« Admirable femme ! m’écriai-je.

  • Tais-toi, esclave ! »

Son regard prit tout à coup un air sombre, voire même sauvage et elle me cingla du fouet ; le moment d’après, elle posa délicatement son bras autour de ma nuque et se pencha avec compassion vers moi.

  • T’ai-je fait mal ? demanda-t-elle à moitié confuse, à moitié angoissée.

  • Non ! repris-je, et si cela était, les douleurs que tu m’infliges sont une jouissance pour moi. Fouette-moi encore, si cela te fait plaisir.

  • Mais cela ne me fait aucun plaisir. »

Une étrange ivresse s’empara de nouveau de moi.

« Fouette-moi, priai-je, fouette-moi sans pitié. »

Wanda brandit le fouet m’en frappa par deux fois.

« En as-tu assez ?

  • Non !

  • Sérieusement pas ?

  • Fouette-moi, je t’en prie, c’est pour moi une jouissance.

  • Oui, tant que tu sais bien que ce n’est pas sérieusement, reprit-elle, que je n’ai pas le coeur de te faire du mal. Tout ce jeu barbare me répugne. Si j’étais vraiment la femme qui fouette ses esclaves, tu t’épouvanterais.

  • Non, Wanda, dis-je, je t’aime mieux que moi-même ; je me suis donné à toi à la vie à la mort, tu peux sérieusement entreprendre contre moi ce qui te plaît, ce que te suggère ton orgueil.

  • Séverine !

  • Foule-moi aux pieds ! » m’écriai-je, et je me prosternai devant elle, la face contre terre.

« Je hais tout ce qui et comédie ! dit Wanda impatiemment.

  • Alors, maltraite-moi pour de bon. »

Une pause inquiétante s’ensuivit.

« Séverine, je te préviens encore pour la dernière fois ! commença Wanda.

  • Si tu m’aimes, sois donc cruelle envers moi, implorai-je, les yeux levés vers elle.

  • Si je t’aime ? reprit Wanda. C’est bien, maintenant ! »

Elle recula et me considéra avec un rire sombre. « Sois donc mon esclave, et sens ce que c’est que de s’être livré aux mains d’une femme. » Et au même instant elle me donna un coup de pied.

« Eh bien ! comment cela te va-t-il, esclave ? »

Puis elle brandit le fouet.

« Lève-toi ! »

Je voulus me relever.

« Pas ainsi, commanda-t-elle, sur les genoux. »

J’obéis et elle commença à me fouetter.

Les coups pleuvaient vigoureusement sur mon dos, sur mes bras, taillaient ma chair et y laissaient une sensation de brûlure, mais les souffrances me transportaient, car elles provenaient d’elle, de la femme que j’adorais, pour laquelle à tout moment j’étais prêt à donner ma vie.

Enfin, elle s’arrêta.

« Je commence à prendre plaisir à ce jeu, dit-elle, en voilà assez pour aujourd’hui, mais il me prend une diabolique curiosité de voir jusqu’où va ton pouvoir de résistance, une cruelle volupté m’empoigne de te sentir trembler sous mon fouet, de te voir plier et d’entendre enfin tes gémissements, tes plaintes et tes cris de douleur, jusqu’à ce que tu demandes grâce et que je continue à frapper sans pitié, jusqu’à ce que tu tombes sans connaissance. Tu as éveillé dans mon être de dangereux instincts. Mais maintenant, lève-toi ! »

Je m’emparai de sa main pour la porter à mes lèvres.

« Quelle audace ! »

Elle m’éloigna du pied.

« Hors de ma vue, esclave ! »

Après une nuit de fièvre passée dans des rêves confus, je m’éveillai. Le jour paraissait à peine. Qu’y a-t-il de vrai de ce qui plane dans mon souvenir ? Qu’ai-je éprouvé ou seulement rêvé ? Il est certain que j’ai été fouetté, je ressens chaque coup séparément, je puis compter les marques rougeâtres et cuisantes qui sillonnent mon corps. Elle m’a fouetté ! Oui, maintenant, je sais tout.

Mon rêve a pris corps. Que m’en semble-t-il ? La réalité m’a-t-elle d é s a b u s é de mon rêve ?

Non, je suis seulement tant soit peu fatigué, mais sa cruauté me remplit d’allégresse. Oh ! combien je l’aime, combien je l’adore ! Hélas ! tout ceci n’exprime pas le moins du monde ce que je ressens pour elle, combien je me sens complètement livré à elle. Quelles délices d’être son esclave !

Elle m’appelle du balcon. Je me hâte de gravir l’escalier. Elle se tient sur le palier et me tend amicalement la main.

« Je me fais honte à moi-même, dit-elle, tandis que je l’enlace et qu’elle repose sa tête sur ma poitrine.

  • Comment ?

  • Essayez d’oublier l’odieuse scène d’hier, dit-elle d’une voix frémissante, je me suis prêtée à votre folle manie ; désormais, soyons raisonnables et heureux, et aimons-nous, et dans un an je serai votre femme.

  • Ma maîtresse, m’écriai-je, et moi votre esclave !

  • Plus un mot d’esclavage, de cruauté et de fouet, interrompit Wanda, je ne vous accorderai plus que la jaquette fourrée ; venez et aidez-moi â entrer. »

La petite pendule de bronze, sur laquelle dort un Amour qui a déposé sa flèche, sonna minuit.

Je me levai et voulus sortir.

Wanda ne dit mot, mais elle m’enlaça et m’attira de nouveau sur le sofa et commença encore à m’embrasser, et ce langage muet avait quelque chose de profondément compréhensible, et convaincant.

Et il disait encore davantage, que je n’osais comprendre : un abandon si langoureux se reflétait dans tout l’être de Wanda, une tendresse si voluptueuse sortait de ses yeux mi-clos, entr’ouverts, du flot roux de sa chevelure brillant sous la blanche poudre, du satin blanc et rouge qui criait autour d’elle à chacun de ses mouvements, de la bouffante hermine de la kazabaïka dans laquelle elle s’enveloppait négligemment.

« Je te prie, balbutiai-je, mais tu seras méchante.

  • Fais de moi ce que tù veux, murmura-t-elle, je t’appartiens sûrement.

  • Maintenant, marche sur moi, je t’en prie ; autrement je serai bouleversé.

  • Ne t’ai-je pas défendu, dit Wanda avec énergie, mais tu es incorrigible.

  • Hélas ! je suis si terriblement amoureux ! » J’étais tombé à genoux et enfonçais mon visage brûlant dans son sein.

« Je crois vraiment, reprit Wanda réfléchissant, que toute ta démence est une sensualité diabolique, inassouvissable. Notre monstruosité doit faire éclore chez nous un tel état morbide. Si tu étais moins vertueux, tu serais devenu raisonnable.

  • Eh ! bien, rends-moi intelligent », murmurai-je.

Mes mains fouillaient ses cheveux et sa brillante fourrure, qui, comme un clair de lune, brouillait tous mes sens et montait et descendait sur son sein palpitant.

Et je l’embrassai… non, elle m’embrassa avec tant de frénésie, avec si peu de pitié, qu’elle semblait vouloir me manger de baisers. J’étais comme en délire, j’avais depuis longtemps perdu la raison, il ne me restait enfin aucun souffle. J’essayai de me dégager.

« Qu’as-tu ? demanda Wanda.

  • Je souffre effroyablement.

  • Tu souffres ? »

Elle se mit à rire aux éclats, comme une espiègle.

« Tu peux rire ! gémis-je, alors tu ne te doutes pas. »

Elle fut de nouveau sincère, prit ma tête dans ses mains et, d’un effort violent, m’attira encore sur son sein.

« Wanda ! balbutiai-je.

  • Fort bien, cela te fait plaisir de souffrir », fit-elle, puis elle se remit à rire, « mais attends, je vais bientôt te rendre raisonnable.

  • Non, je ne veux plus rien demander, m’écriai-je ; si tu veux pour toujours ou seulement pour un délicieux moment m’appartenir, je veux jouir de mon bonheur ; maintenant sois à moi, j’aime mieux te perdre que de ne jamais te posséder.

  • C’est ainsi que tu es raisonnable ! » dit-elle et elle m’embrassa à nouveau avec ses lèvres assassines, et je déchirai tout ensemble la fourrure et les vêtements de dentelles et sa gorge à nu palpita contre la mienne.

Alors, je perdis connaissance.

Au moment où je revins à moi, j’aperçus le sang dégoutter de ma main, et je lui demandais flegmatiquement

« M’as-tu égratigné ?

  • Non, je crois que je t’ai mordu ! »

C’est curieux comme les rapports de la vie prennent une autre tournure, dès qu’une personne étrangère s’interpose.

Nous avons passé de charmantes journées ensemble, visité la montagne, le lac ; nous avons fait la lecture et j’ai terminé le portrait de Wanda.

Que nous nous sommes aimés, et combien son ravissant visage était souriant !

Survient une amie, une femme divorcée, un peu plus âgée, un peu plus expérimentée et un peu moins scrupuleuse que Wanda, et déjà son influence se fait sentir dans la direction qu’elle lui imprime.

Wanda fronce le front et me témoigne une certaine impatience.

Ne m’aime-t-elle plus ?

Cette sujétion insupportable dure depuis près de quinze jours. L’amie demeure avec elle, nous ne sommes jamais seuls. Un cercle de messieurs entoure les deux jeunes femmes. Avec ma gravité, mon humeur sombre, je joue, comme amant, un rôle de niais. Wanda me traite en étranger.

Aujourd’hui, à la promenade, elle et restée en arrière avec moi. Je vois qu’elle l’a fait à dessein et en jubile. Mais que me dit-elle ?

« Mon amie ne comprend pas comment je peux vous aimer ; elle ne vous trouve ni beau, ni simplement intéressant sous tout autre rapport ; en outre, elle m’entretient depuis le matin jusqu’à une heure avancée de la nuit de la brillante et frivole existence du chef lieu, avec les prétentions que je puis faire valoir, les grands partis que je pourrais trouver, les beaux et aristocratiques adorateurs que je devrais captiver. Mais ce qui empêche tout cela c’est que je t’aime encore. »

Pendant un moment je perdis la respiration, puis je dis :

« Wanda ! Dieu m’est témoin que je ne veux pas entraver votre bonheur. Ne tenez plus aucun compte de moi. »

Là-dessus, je tirai mon chapeau et la laissai marcher devant. Elle me considéra, étonnée, toutefois elle ne répondit pas une syllabe.

Mais comme, en revenant, je me rencontrai par hasard avec elle, elle me pressa la main à la dérobée et me lança un regard si chaud, si plein de promesses de bonheur, que toutes les tortures de cette journée furent oubliées, toutes les plaies cicatrisées.

Maintenant je sais de nouveau combien je l’aime.

« Mon amie s’est plainte de toi, me dit Wanda aujourd’hui.

  • Elle a probablement senti combien je la méprise.

  • Pourquoi la méprises-tu ainsi, petit fou ? s’écria Wanda, tandis qu’elle me prenait les oreilles à deux mains.

  • Parce qu’elle fait l’hypocrite, dis-je ; je n’estime que la femme qui et vertueuse, ou celle qui vit ouvertement pour le plaisir.

  • Il en va de même pour moi, reprit Wanda en plaisantant, mais vois-tu, mon enfant, la femme ne peut cela que dans les chutes les plus rares. Elle ne peut être ni si purement sensuelle ni si indépendante d’esprit que l’homme ; son amour est toujours une sensation extérieure et une attraction de l’esprit : un état mixte. Son coeur soupire après ce but : enchaîner l’homme d’une façon durable, alors qu’elle est soumise au changement ; c’est de là que proviennent, en grande partie contre sa propre volonté, la mésintelligence, le mensonge et la trahison, qui, dans son commerce, et dans son être, corrompent son caractère.

  • Certes, il en et ainsi, dis-je, le caractère transcendant que la femme veut imprimer à l’amour, la conduit à la trahison.

  • Mais le monde le désire ainsi, m’interrompit Wanda ; regarde cette femme, elle a à Lemberg son mari et son galant, et ici elle a trouvé un nouvel adorateur, et elle les trompe tous et est encore estimée de tous et méprisée du monde.

  • En ce qui me concerne, m’écriai-je, elle devrait te laisser ce jeu, mais elle te traite certes comme une marchandise.

  • Pourquoi pas ? interrompit vivement la belle femme. Cette femme a l’instinct, le penchant de tirer profit de ses charmes, et c’est beaucoup pour soi de se livrer sans amour, sans jouissance ; on conserve ainsi sa beauté, son sang-froid et l’on peut saisir son avantage.

  • Wanda ! tu dis cela ?

  • Pourquoi pas ? fit-elle, remarque bien ce que je te dis maintenant : ne te sens jamais sûr d’une femme que tu aimes, car la nature de la femme cache plus de malheurs que tu ne le crois. Les femmes ne sont ni si bonnes que les font leurs apologistes, ni si mauvaises que les représentent leurs ennemis. Le caractère de la femme est la versatilité. La meilleure femme tombe momentanément dans la fange, la pire s’élève d’une façon inattendue aux plus hautes, aux plus nobles actions et fait honte à qui la méprise. Aucune femme n’est si bonne ou si mauvaise qu’elle ne soit à tout instant capable des pensées, des sentiments ou des actions les plus diaboliques comme les plus divins, les plus infâmes comme les plus élevés. La femme est même, en dépit de tous les progrès de la civilisation, aussi arriérée que si elle sortait des mains de la nature ; elle a le caractère de la bête fauve, qui, après l’impulsion qui la domine se montre fidèle ou perfide, généreuse ou cruelle. Une éducation austère et soignée a seule, de tout temps, formé le caractère moral ; c’est ainsi que, même égoïste, même malveillant, l’homme se conforme toujours aux principes ; quant à la femme, elle ne suit toujours que ses élans. N’oublie jamais cela et ne te sens jamais sûr de la femme que tu aimes. »

L’amie et sortie. Enfin, voici une soirée en tête-à-tête. Wanda est si bonne, si cordiale, si gracieuse, qu’il semble qu’elle ait réservé pour cette seule délicieuse soirée tout l’amour dont elle m’a privé.

Quelles délices de me pendre à ses lèvres, de mourir entre ses bras et de plonger mes yeux ivres de joie dans les siens, alors que, toute défaillante de plaisir, complètement livrée à moi, elle repose sur mon sein !

Je ne puis encore y croire, je ne puis concevoir que cette femme soit à moi, toute à moi.

« Sous un rapport, elle a encore raison, commença Wanda, sans s’émouvoir, sans seulement ouvrir les yeux, comme si elle dormait.

  • Qui ? »

Elle se tut.

« Ton amie ? »

Elle inclina la tête.

« Oui, elle a raison, tu n’es pas un homme ; tu es un rêveur, un séduisant adorateur, et serais, certes, un esclave inestimable, mais, comme époux, je ne puis penser à toi pour moi. »

Je fus épouvanté.

« Qu’as-tu ? tu trembles ?

  • Je frémis en songeant combien facilement je puis te perdre, répondis-je.

  • Eh bien, es-tu pour cela actuellement moins heureux ? Reprit-elle ; cela t’enlèverait-il quelque part de ta joie, que j’aie devant toi appartenu à un autre, qu’un autre me possède après toi, et ta jouissance aurait-elle été moindre si, comme toi, un autre avait été heureux ?

  • Wanda !

  • Vois-tu, continua-t-elle, ce serait un expédient. Tu ne veux jamais me perdre, tu m’es cher et tu me dis fort moralement que tu voudrais me voir toujours vivre avec toi, quand auprès de toi je…

  • Quelle idée ! m’écriai-je, je commence à éprouver une sorte d’aversion pour toi.

  • Et m’en aimes-tu moins ?

  • Au contraire. »

Wanda s’était soulevée sur son bras gauche.

« Je crois, dit-elle, que, pour subjuguer à jamais un homme, on doit, avant tout, oser lui être infidèle. Quelle honnête femme et aussi adorée qu’une hétaïre ?

  • En effet, l’infidélité d’une femme aimée possède un charme douloureux, c’est la plus haute volupté.

  • Pour toi aussi ? demanda vivement Wanda.

  • Pour moi aussi.

  • Si toutefois je te fais ce plaisir ! s’écria Wanda railleusement.

  • J’en souffrirais alors affreusement, mais je t’en adorerais davantage, repris-je ; seulement, si tu osais jamais me tromper, tu devrais avoir la diabolique grandeur de me dire : “Je t’aimerai toujours, mais je rendrai heureux qui bon me semblera.” »

Wanda secoua la tête.

« La trahison me répugne, je suis loyale, mais quel homme ne succombe pas sous le poids de la vérité ? Si je te disais : “Cette pure vie sensuelle, ce paganisme constituent mon idéal”, aurais-tu la f o r c e de le supporter ?

  • Certainement. Je veux tout supporter de toi, mais je ne veux pas te perdre. Je sens vraiment combien peu je t’appartiens.

  • Mais… Séverine.

  • C’est cependant ainsi, dis-je, et c’est même pour cela…

  • Pour cela, tu pourrais… elle sourit malicieusement - l’ai-je deviné ?

  • Être ton esclave ! m’écriai-je, ta propriété absolue et sans volonté propre, avec laquelle tu pourrais agir à ta guise et qui, pour cela, ne saurait t’être à charge. Je pourrais - pendant que tu savoures la vie à longs traits, que, plongée dans un luxe somptueux, tu goûtes le pur bonheur, l’amour de l’Olympe - te servir, te chausser et te déchausser.

  • En somme, tu n’as pas tort, reprit Wanda, car seulement comme mon esclave pourrait-tu supporter que j’en aimasse un autre ; d’ailleurs, la liberté de jouissance, à la façon du monde antique, ne peut s’imaginer sans esclavage. Oh ! ce doit être une sensation quasi divine que de voir devant soi des hommes s’agenouiller, trembler !… Je veux avoir des esclaves, entends-tu, Séverine ?

  • Ne suis-je pas ton esclave ?

  • Écoute-moi aussi, dit Wanda exaltée et me serrant la main, je veux être à toi tant que je t’aimerai.

  • Un mois ?

  • Peut-être aussi deux.

  • Et puis ?

  • Alors, tu seras mon esclave.

  • Et toi ?

  • Moi ? que demandes-tu encore ? Je suis une déesse, et je descends parfois légèrement, fort légèrement, furtivement de mon Olympe vers toi. Mais que signifie tout cela ? » dit Wanda, appuyant sa tête sur ses deux mains, le regard perdu dans le vide, « un rêve doré qui n’aura jamais de réalité ». Une mélancolie latente, inquiétante était répandue sur tout son être ; je ne l’avais jamais vue ainsi.

« Et pourquoi irréalisable ? Commençai-je .

  • Parce que l’esclavage n’existe pas chez nous.

  • Allons donc dans un pays où il existe encore, en Orient, en Turquie, fis-je vivement.

  • Tu voudrais, Séverine, sincèrement ? répondit Wanda. Ses yeux brûlaient.

  • Oui, je veux sincèrement être ton esclave, continuai-je, je veux que ta puissance sur moi soit consacrée par la loi, que ma vie soit entre tes mains, que rien au monde ne me protège ou me défende contre toi. Oh ! quelle volupté quand je sentirai que je dépens tout entier de ton caprice, de ton bon plaisir, d’un seul de tes gestes ! Et puis, quelles délices ! si tu es parfois assez gracieuse pour permettre à l’esclave de baiser la lèvre de laquelle dépend son arrêt de vie ou de mort ! »

Je me jetai à ses pieds et appuyai mon front brûlant sur son genou.

« Tu as la fièvre, Séverine, dit Wanda surexcitée, et tu m’aimes vraiment d’un amour infini. »

Elle me serra sur sa poitrine et me couvrit de baisers.

« Tu le veux ? Reprit-elle hésitante.

  • Je te jure ici, devant Dieu et sur mon honneur, je serai ton esclave, où, et quand tu voudras, aussitôt que tu l’ordonneras, m’écriai-je, me possédant à peine.

  • Et si je te prenais au mot ? s’écria Wanda.

  • Fais-le.

  • C’est pour moi un charme sans pareil, dit-elle, là-dessus, de savoir qu’un homme qui m’adore et que j’aime de toute mon âme, se donne complètement à moi pour dépendre de ma volonté, de mon caprice, pour devenir mon esclave, tandis que moi… »

Elle me considéra d’un air singulier.

« Si je deviens très frivole, la faute en sera à toi, continua-t-elle ; je crois presque, maintenant, que tu as déjà peur de moi, mais j’ai ton serment.

  • Et je le tiendrai.

  • Laisse-moi, ce soir, répondit-elle. Maintenant j’y prends plaisir ; maintenant, j’en prends Dieu à témoin, cela ne restera plus dans le domaine du rêve. Tu deviens mon esclave, et moi… je vais essayer de devenir la Vénus à la fourrure. »

Lire la suite : La Vénus à la Fourrure 3
bonsoir, un grand classique de la littérature SM. merci pour ce rappel
Publicité en cours de chargement