La Vénus à la Fourrure 3

Catégories : Homme soumis, Femdom Domination féminine
Ce récit est la suite de : La Vénus à la Fourrure 2
il y a 5 ans

Je croyais connaître et comprendre cette femme à fond, mais je vois maintenant que je puis recommencer mon étude de plus belle. Avec quelle répugnance n’accueillit-elle pas dernièrement mes chimères et avec quel zèle n’en poursuit-elle pas aujourd’hui l’exécution ?

Elle possède un contrat, aux termes duquel je me suis engagé, par parole d’honneur et par serment, à être son esclave aussi longtemps qu’elle le voudra.

Son bras autour de mon cou, elle me lit à haute voix ce document inouï, incroyable ; après chaque phrase un baiser constitue le point.

« Mais le contrat ne stipule de devoirs que pour moi, lui dis-je, taquin.

  • Naturellement, répondit-elle avec grand sérieux, tu entends être mon amoureux, je suis aussi liée à tous les devoirs et à tous les égards envers toi.

« Tu dois encore regarder mes faveurs comme une grâce, tu n’as pas d’autre droit et tu ne dois non plus tirer de ce papier aucun avantage. Ma puissance sur toi doit être sans bornes. Songe que tu n’es dès lors rien moins qu’un chien, une chose inerte ; tu es ma chose à moi, mon jouet, que je puis briser dès que cela me promet une heure de passe-temps. Tu n’es rien et je suis tout. Comprends-tu ? »

Elle rit et m’embrasse encore et une sorte de frisson m’envahit à nouveau.

« Me permettrais-tu d’autres stipulations, commençai-je.

  • Stipulations ? » Elle fronça le sourcil. « Ah ! tu as presque peur, ou bien tu te repens, mais tout cela vient trop tard, j’ai ton serment, ta parole d’honneur. Néanmoins, je t’écoute.

  • La première que je voudrais voir insérer dans notre contrat est que tu ne te sépareras jamais complètement de moi, que tu ne m’abandonneras jamais à la barbarie de l’un ou de l’autre de tes adorateurs.

  • Mais Séverine, s’écria Wanda d’une voix émue et des larmes dans les yeux, tu peux croire que je pourrais faire cela envers toi, l’homme qui m’aime tant, qui s’est si complètement livré à mes mains ?… »

Elle s’arrêta.

« Non ! Non ! dis-je en couvrant sa main de baisers, je ne crains pas que tu puisses vouloir me déshonorer, pardonne-moi l’odieux moment. »

Wanda se mit à rire délicieusement, posa sa joue contre la mienne et parut songer.

« Tu as oublié quelque chose, murmura-t-elle encore malicieusement, le plus important…

  • Une stipulation ?

  • Oui, que je dois toujours paraître en fourrure s’écria Wanda, mais je te promets que j’en porterai une déjà pour cette raison qu’elle m’inspirera des sentiments de despote, et je veux être très cruelle envers toi, comprends-tu ?

  • Faut-il que je signe le contrat ? demandai-je.

  • Pas encore, dit Wanda, je veux auparavant ajouter ta clause au bas, et par-dessus tout lui indiquer un lieu et place.

  • À Constantinople.

  • Non. J’y ai mûrement songé. À quoi me sert à moi d’avoir un esclave là où chacun en possède ? J’entends être seule ici, dans notre monde civilisé, prosaïque, bourgeois, à posséder un esclave, et encore un esclave que ni la loi, ni mon droit ou ma puissance brutale, mais uniquement le pouvoir de ma beauté et de mon être a librement livré à mes mains. Je trouve cela piquant. En tout cas, allons dans un pays où on ne nous connaît pas, et où tu puisses, sans scrupule devant le monde, passer pour mon domestique. Peut-être en Italie, à Rome ou à Naples. »

Nous étions assis sur le sofa de Wanda ; elle était vêtue de sa jaquette d’hermine, les cheveux épars tombant sur son dos comme une crinière de lion, et pendue à mes lèvres, elle me buvait l’âme. La tête me tournait, mon s a n g commençait à entrer en ébullition, mon cœur battait à rompre contre le sien.

« Je veux être tout entier entre tes mains, Wanda ! » m’écriai-je tout à coup dans un transport d’ivresse qui me rendait presque aussi incapable de penser juste que de prendre librement une décision , « sans aucune condition, sans aucune restriction de ta puissance sur moi, je veux me livrer à la clémence ou aux rigueurs de ta volonté. »

Tout en parlant ainsi, je m’étais laissé tomber du sofa à ses pieds et, ivre de passion, je levai les yeux vers elle.

« Que tu es encore beau ! s’écria-t-elle ; ton œil à demi éteint, comme dans la tentation, me ravit, m’enchante ; ton regard agonisant serait étonnant si tu étais fouetté à m o r t . Tu as l’œil d’un martyr ! »

J’ai parfois peur de me livrer si complètement, si inconditionnellement aux mains d’une femme. Si elle a b u s ait de ma passion, de son pouvoir ?

Car maintenant je vois que, depuis l’e n f a n c e , ce qui occupe mon imagination me remplit toujours d’une douce horreur. Folle inquiétude ! C’est un jeu malicieux qu’elle joue avec moi, et pas davantage. Elle m’aime certes, et elle et si bonne, c’est une nature si noble, incapable d’infidélité ; mais cela dépend d’elle : elle peut si elle veut. Quel charme dans ce doute, dans cette crainte !

Je comprends maintenant Manon Lescaut et le pauvre chevalier qui l’adorait encore comme maîtresse d’un autre, voire au pilori.

L’amour ne connaît aucune vertu, aucun mérite ; il aime et pardonne, et souffre tout, parce qu’il le doit ; en amour, notre jugement ne nous conduit pas ; ni les préférences, ni les défauts que nous découvrons ne provoquent notre abnégation ou ne nous font reculer d’effroi.

C’est une douce, mélancolique, mystérieuse f o r c e qui nous pousse, et nous cessons de penser, de sentir, de vouloir, nous nous laissons pousser par elle et ne demandons pas où.

Pour la première fois aujourd’hui, nous vîmes à la promenade un prince russe, qui grâce à sa prestance athlétique, à sa belle physionomie, au luxe de sa mise, créa une sensation générale. Les dames principalement le regardaient avec étonnement comme une bête féroce ; quant à lui, il marchait d’un air sombre ; il était accompagné de deux serviteurs : un nègre complètement vêtu de satin rouge et un Tcherkesse armé de pied en cap. Tout à coup, il aperçut Wanda, attacha sur elle son froid regard scrutateur, tourna la tête vers elle, et, comme elle passait devant lui, il s’arrêta et la considéra.

Quant à elle, elle le dévora de ses vifs yeux verts et se montra prête à tout accepter de lui.

La coquetterie raffinée avec laquelle elle allait, venait, le regardait, m’étranglait littéralement. Comme nous approchions de la maison, j’en fis la remarque. Elle fronça le front.

« Que veux-tu, dit-elle, le prince est un homme qui pourrait me plaire, qui m’éblouit passablement ; or, je suis libre, je puis faire ce que je veux.

  • Alors, tu ne m’aimes plus ? Balbutiai-je effrayé.

  • Je n’aime que toi, reprit-elle, mais je veux me faire faire la cour par le prince.

  • Wanda !

  • N’es-tu pas mon esclave ? dit-elle tranquillement. Ne suis-je pas Vénus, la cruelle Vénus à la fourrure du Nord ? »

Je me tus ; je me sentais formellement brisé par ses paroles ; son froid regard entrait comme un poignard dans mon cœur.

« Tu vas tout de suite demander le nom, l’adresse et tous les renseignements qui concernent le prince, entends-tu bien ? Continua-t-elle .

  • Mais…

  • Pas d’objections. Obéis ! » s’écria Wanda, avec une dureté dont je ne l’aurais jamais crue capable. « Ne reparais pas devant mes yeux, avant de pouvoir répondre à toutes mes questions. »

L’après-midi suivant, je pus apporter à Wanda les renseignements désirés. Elle me laissa debout devant elle, comme un domestique, tandis que, renversée dans le fauteuil, elle m’écoutait en riant. Puis, elle fit un signe de tête et parut satisfaite.

« Donne-moi le tabouret ! » commanda-t-elle d’une voix brève.

J’obéis, et après que je l’eus installée et y eus arrangé ses pieds, je me mis à genoux devant elle.

« Comment cela se terminera-t-il ? » demandai-je tristement, après une petite pause.

Elle éclata d’un méchant rire :

« Cela n’a même pas encore commencé.

  • Tu as aussi peu de cœurs que je le pensais, répondis-je, blessé.

  • Séverine, commença Wanda sévèrement, je n’ai encore rien fait, pas la plus petite chose, et tu m’appelles déjà sans cœur. Que serait-ce si je faisais tes caprices, si je menais une vie de plaisir sans retenue, si j’avais un cercle d’adorateurs autour de moi, si j’étais tout ton idéal, si je te donnais des coups de pied et des coups de fouet ?

  • Tu prends mes fantaisies trop au sérieux.

  • Trop au sérieux ? Dès que je commencerai ; je ne m’en tiendrai pas seulement à la plaisanterie, reprit-elle ; tu sais combien je hais ce jeu, cette comédie ! Tu l’as voulu ainsi. Fut-ce mon idée ou la tienne ? T’y ai-je entraîné ou n’as-tu pas, au contraire, échauffé mon imagination ? Maintenant, en effet, je suis sérieuse.

  • Wanda, répondis-je affectueusement, écoute-moi tranquillement. Nous nous aimons tellement, nous sommes tellement heureux, veux-tu sacrifier tout notre avenir au caprice ?

  • Il n’y a plus aucun caprice ! s’écria-t-elle.

  • Qu’y a-t-il alors ? demandai-je effrayé.

  • Cet instinct est bien entré en moi », dit-elle tranquillement, comme réfléchissant, « peut-être n’aurait-il jamais vu le jour, mais tu l’as éveillé, tu l’as développé et il a maintenant atteint une f o r c e irrésistible qui remplit tout mon être, qui me cause une jouissance, qui est tout ce que je puis désirer, et malgré cela, tu voudrais revenir en arrière, toi, es-tu un homme ?

  • Chère bien-aimée Wanda ! »

Je commençai à la caresser, à l’embrasser.

« Laisse-moi, tu n’es pas un homme.

  • Et toi ! grondai-je.

  • Je suis entêtée, dit-elle, tu le sais. Je ne suis ni forte en chimères, ni faible en exécution comme toi ; quand j’entreprends quelque chose, je le mène à bien et d’autant plus sûrement que je ne rencontre plus jamais de résistance. Laisse-moi ! »

Elle me repoussa d’elle et s’éloigna.

« Wanda ! »

Je me levai pareillement et me tins devant elle les yeux dans les siens.

« Tu me connais maintenant, continua-t-elle, je t’avertis encore une fois. Tu as encore le choix. Je ne te contrains pas à devenir mon esclave.

  • Wanda, répondis-je tout ému, les larmes me vinrent aux yeux, tu ne sais pas combien je t’aime ! »

Elle agita dédaigneusement les lèvres.

« Tu t’a b u s e s, tu te fais plus odieuse que tu n’es, ta nature est bien trop bonne, trop noble !

  • Que sais-tu de ma nature, m’interrompit-elle impétueusement, tu n’apprendras pas à me connaître.

  • Wanda !

  • Décide-toi, veux-tu te soumettre, sans réserve ?

  • Et si je dis non ?

  • Alors… »

Elle marcha, froide et haineuse sur moi, et comme elle se tenait devant moi, les bras croisés sur la poitrine, son mauvais sourire sur les lèvres, elle m’apparut comme la despote de mes rêves et ses traits prirent une expression de dureté, et son regard n’annonça rien de bon ou de pitoyable.

« Bien, dit-elle enfin.

  • Tu es méchante, dis-je, tu voudrais me fouetter.

  • Oh ! non, reprit-elle, je veux te laisser aller. Tu es libre. Je ne retiens pas.

  • Wanda, moi qui t’aime tant !

  • Oui, vous mon maître, vous qui m’adorez ! cria-t-elle, d’un ton méprisant, mais vous êtes un couard, un menteur, un traître à sa parole. Laissez-moi à l’instant !

  • Wanda !

  • Vile créature ! »

Le s a n g me monta au cœur. Je me jetai à ses pieds et commençai à pleurer.

« Encore des larmes ! » Elle se mit à rire. Oh ! ce rire était effrayant. « Voyez-vous, je ne veux plus vous voir.

  • Mon Dieu ! m’écriai-je hors de moi. Je ferai tout ce que tu commanderas, je serai ton esclave, ta chose, avec laquelle tu agiras à ta guise, mais ne m’éloigne pas de toi… Je vais à l’abîme, je ne puis vivre sans toi. »

Je saisis ses genoux et couvris sa main de baisers.

« Oui, tu dois être esclave, sentir le fouet, car tu n’es pas un homme », dit-elle tranquillement, et c’est ce qui me prit au cœur qu’elle parlât ainsi sans colère, sans emportement, mais de propos délibéré. « Je te connais maintenant, je connais ta nature de chien, qui adore qui te pousse du pied et te m a l t r a i t e de plus en plus. Je te connais maintenant, mais tu apprendras aussi à me connaître. »

Elle se mit à faire les cent pas, tandis que je restai sur les genoux, anéanti, la tête baissée, inondée de larmes.

« Viens vers moi », ordonna Wanda, étendue sur le sofa.

Je me rendis à son geste et m’assis auprès d’elle. Elle me regarda d’un air sombre, puis, tout à coup, son œil s’illumina, elle m’attira souriante sur sa poitrine et se mit à m’embrasser, les larmes aux yeux.

Le comique de ma situation est que je suis comme l’ours du parc Lili ; je puis fuir et ne veux pas, je supporte tout, aussitôt qu’elle menace de me donner la liberté.

Si elle pouvait encore reprendre le fouet en main ! L’amabilité avec laquelle elle me traite a pour moi quelque chose d’inquiétant. Il me semble que je suis une petite souris, avec laquelle une belle chatte joue coquettement, à chaque instant prête à me mettre en pièces, et mon cœur de souris menace d’éclater.

Que prépare-t-elle ? Que va-t-elle faire de moi ?

Elle paraît avoir complètement oublié le contrat, mon esclavage ; ou était-ce seulement un caprice et a-t-elle abandonné tout son plan en un moment, pour que je ne puisse plus lui opposer aucune résistance, pour que je me plie à sa souveraine fantaisie ?

Comme elle est encore bonne envers moi, combien elle est affectueuse, combien amoureuse ! Nous passons des jours délicieux.

Aujourd’hui, elle m’a fait lui lire la scène entre Faust et Méphistophélès, dans laquelle ce dernier apparaît comme étudiant errant ; son regard se pose sur moi avec une étrange satisfaction.

« Je ne comprends pas, dit-elle, comme j’avais fini ma lecture, comment un homme peut exposer de grandes et belles pensées d’une façon si merveilleusement claire, si pénétrante et malgré cela être un pareil fantasque, un Schlemihl ultra-sensualiste !

  • Serais-tu contente ? » dis-je, et j’embrassai sa main.

Elle me caressa amicalement sur le front.

« Je t’aime, Séverine, chuchota-t-elle, je crois que je ne pourrai jamais davantage aimer un autre homme. Nous allons être raisonnables, veux-tu ? »

Au lieu de répondre, je la pris dans mes bras ; une profonde, mélancolique joie intérieure remplit mon cœur, mes yeux se mouillèrent, une larme coula sur sa main.

« Comment peux-tu pleurer ! s’écria-t-elle, tu es un e n f a n t . »

Au cours d’une promenade en voiture, nous avons rencontré le prince russe également en voiture. Il fut évidemment surpris de me voir au côté de Wanda et sembla vouloir la transpercer de ses yeux gris électrique, mais elle - j’aurais pu à ce moment me mettre à genoux devant elle et baiser ses pieds - elle parut ne pas le remarquer, elle laissa son regard glisser indifférent sur lui, comme sur un objet inerte, un arbre, puis se retourna vers moi avec un éclat de rire charmant.

Comme aujourd’hui je lui disais bonne nuit, elle me parut tout à coup, sans aucune raison, distraite et maussade. Que peut-elle bien comploter ?

« Cela me fait de la peine que tu t’en ailles, dit-elle, comme déjà je me tenais sur le seuil.

  • Cela dépend seulement de toi de réduire le dur temps de mon épreuve, qui me t o r t u r e , pleurai-je.

  • Tu ne prends pas non plus garde que cette contrainte est aussi pour moi un tourment, répliqua Wanda.

  • Alors, termine-la, m’écriai-je, l’entourant de mes bras, sois ma femme.

  • Jamais, Séverine, ne dit-elle doucement, mais avec une grande fermeté.

  • Qu’y a-t-il ? »

J’étais terrifié jusqu’au plus profond de mon âme.

« Tu n’es pas l’homme qu’il me faut. »

Je la considérai, retirai doucement mon bras, qui reposait encore autour de sa taille, et quittai la pièce ; quant à elle, elle ne me rappela pas.

Nuit sans sommeil, j’ai pris mille résolutions et les ai toutes rejetées. Dès le matin, j’écrivis une lettre, dans laquelle j’expliquai que nos rapports étaient rompus. La main me tremblait si fort comme je la cachetais, que je me brûlai les doigts.

Comme je montai le perron, pour remettre la missive à la femme de chambre, mes genoux menacèrent de se briser.

La porte s’ouvrit et Wanda passa sa tête toute papillotée…

« Je ne suis pas encore frisée, dit-elle en riant, qu’avez-vous là ?

  • Une lettre.

  • Pour moi ? »

Je fis signe que oui.

« Ah ! vous voulez briser avec moi, fit-elle d’un ton railleur.

  • N’avez-vous pas déclaré hier que je n’étais pas un homme pour vous…

  • Je vous le réitère, dit-elle.

  • Tenez. »

Je tremblais de tout mon corps, la voix me fit défaut, je lui tendis la lettre.

« Gardez-la, dit-elle, en m’examinant, vous oubliez qu’il n’est pas question de savoir si oui ou non vous êtes l’homme qu’il me faut, et que vous êtes toujours assez bon pour être un esclave.

  • Madame ! m’écriai-je, ravi.

  • Oui, c’est ainsi que vous devez me nommer à l’avenir », répondit Wanda, renversant sa tête avec un dédain indicible, « arrangez vos affaires d’ici vingt-quatre heures, je pars après-demain pour l’Italie et vous m’accompagnez comme domestique.

  • Wanda !

  • Je vous interdis cette familiarité », me dit-elle, en hachant ses mots d’une façon incisive, « de même que de pénétrer auprès de moi sans que je vous appelle ou vous sonne, ou de me parler sans y avoir été invité. À partir d’aujourd’hui, vous ne vous nommerez plus Séverine, mais Grégoire. »

Je frémis de rage et cependant - je ne puis, malheureusement, pas nier - aussi de plaisir et d’une émotion insurmontable.

« Mais, vous connaissez bien ma position, Madame, commençai-je bouleversé, je dépends encore de mon père et doute qu’il dispose en ma faveur d’une aussi forte somme que celle dont j’aurai besoin pour ce voyage.

  • Cela veut dire que tu n’as pas d’argent, Grégoire, remarqua Wanda charmée, tant mieux, car tu dépends complètement de moi, et en ce cas, tu es mon esclave.

  • Vous ne songez pas, tentai-je d’objecter, que, comme homme d’honneur, il m’est impossible…

  • J’ai bien pensé, répondit-elle presque sur le ton de commandement, que, comme homme d’honneur, vous vous êtes engagé par serment, vous avez donné votre parole de me suivre comme esclave où je le voudrai, et de m’obéir en toutes choses. Va, maintenant, Grégoire ! »

Je me tournai vers la porte.

« Pas encore ; il te faut me baiser la main auparavant. »

Là-dessus, elle me la tendit avec un certain orgueilleux laisser-aller, et moi dilettante, âne, vil esclave, je portai, avec d’affectueux transports, cette main à mes lèvres desséchées de fièvre et de surexcitation.

Encore un gracieux signe de tête.

J’étais congédié.

Il était déjà tard, quand j’allumai la lampe et le feu dans le grand poêle vert, car j’avais encore quelques lettres et quelques papiers à mettre en ordre, et le vent d’automne, ainsi qu’il en va d’habitude chez nous, commençait à souffler avec v i o l ence.

Tout à coup, elle cogna avec le manche du fouet à ma fenêtre.

J’ouvris et je la vis vêtue de sa jaquette doublée d’hermine, et coiffée d’une ronde et haute toque de cosaque en hermine, telle que celles que la grande Catherine avait coutume de porter de préférence.

« Es-tu prêt, Grégoire ? demanda-t-elle d’un ton sombre.

  • Pas encore, maîtresse, répondis-je.

  • Le mot me plaît, dit-elle là-dessus, tu dois toujours m’appeler « maîtresse », comprends-tu ? Demain matin de bonne heure, à neuf heures, nous quittons ces lieux. Jusqu’au chef-lieu du cercle, tu seras mon compagnon, mon ami ; dès que nous serons montés en voiture, mon esclave, mon domestique. Maintenant, ferme la fenêtre et ouvre la porte. »

Après que j’eus exécuté son désir et qu’elle fût entrée, elle demanda, les sourcils méchamment froncés :

« Comment te plais-je, maintenant ?

  • Toi ?

  • Qui t’a permis cela ? »

Elle me donna un coup de fouet.

« Vous êtes merveilleusement belle, maîtresse ! »

Wanda rit et s’assit dans mon fauteuil.

« Agenouille-toi, ici, près de moi. »

J’obéis.

« Baise-moi la main. »

Je saisis sa petite main froide et l’embrassai.

« Et la bouche. »

J’enroulai mes bras, dans un transport de passion autour de la cruelle belle femme et couvris son visage, sa bouche et son buste de mes baisers brûlants et elle me les rendit avec le même feu - les paupières mi-closes comme en rêve - jusqu’après minuit. *

Ponctuellement, à neuf heures du matin, comme elle l’avait commandé, tout était prêt pour le départ et nous quittâmes dans une calèche commode, la petite ville d’eau des Karpates, où s’était noué le plus intéressant drame de ma vie, dont qui que ce soit pouvait à peine pressentir le dénouement.

Alors, tout alla bien. J’étais assis à côté de Wanda, et elle causait avec moi le plus affectueusement et le plus spirituellement du monde, comme avec un bon ami, de l’Italie, du nouveau roman de Pisemski et de la musique de Wagner. Elle portait, pour ce voyage, une espèce d’amazone, un costume de drap noir et une jaquette courte de même étoffe bordée de fourrure sombre, qui dessinaient ses sveltes et fines formes et en faisaient ressortir tous les avantages ; par-dessus, une sombre fourrure de voyage. La chevelure, roulée en noeud antique, reposait sous une petite toque de fourrure sombre, de laquelle retombait une voilette noire.

Wanda était très bien disposée, me bourrait de bonbons, me frisait, dénouait mon foulard et le roulait en une charmante petite tresse, étalait sa fourrure sur mes genoux, puis me pressait furtivement les doigts, et, de temps à autre, quand notre cocher juif s’assoupissait, elle allait jusqu’à me donner un baiser, et ses fraîches lèvres avaient le parfum glacé d’une jeune rose épanouie à l’automne entre les feuilles déjà m o r t es et que le premier givre a rempli de petits diamants.

Voici le chef-lieu du cercle. Nous descendons devant la gare. Wanda, avec un rire charmant, me jette sa fourrure sur le bras, puis elle va prendre les billets.

Comme elle revient, elle est complètement changée.

« Voici ton billet, Grégoire, dit-elle du ton sur lequel les grandes dames parlent à leurs laquais.

  • Un billet de troisième classe ! répondis-je, avec un effroi comique.

  • Naturellement, reprit-elle, mais maintenant, fais attention de monter aussitôt que je serais dans le coupé et n’aurai plus besoin de toi. À chaque station, tu viendras à mon wagon me demander mes ordres. N’y manque pas. Et maintenant, donne-moi ma fourrure. »

Après qu’en esclave soumis, je l’eus aidée à l’endosser, suivie de moi, elle se mit en quête d’un coupé vide de première classe, s’élança, appuyée sur mon épaule, et me laissa lui envelopper les pieds dans la peau d’ours et les poser sur la bouillotte.

Puis elle me fit signe et me congédia. Je montai lentement dans un wagon de troisième classe, rempli d’épaisses fumées de tabac comme l’entrée de l’enfer l’est, dit-on, des brouillards de l’Achéron, et j’eus alors tout le loisir de méditer le problème de l’existence humaine et la plus grande des énigmes : la Femme.

Chaque fois que le train s’arrêtait, je sautais en bas de mon compartiment, courais à son wagon et attendais ses ordres, la casquette à la main. Elle voulait tantôt un café, tantôt un verre d’eau, une fois un petit souper, une autre fois une cuvette d’eau chaude, pour se laver les mains, tant et si bien qu’elle se laisse faire la cour par un couple de cavaliers qui étaient montés dans son coupé ; je mourais de jalousie et dus me mettre à sauter comme un cabri pour exécuter rapidement chacun des désirs de Madame et ne pas manquer le train. Sur ces entrefaites, la nuit se mit à tomber.

Je ne pus ni manger un morceau ni dormir. Je respire l’odeur, empoisonnée d’oignon, de paysans polonais, de commerçants juifs et de grossiers militaires, et quand je monte la marche de son coupé, elle est étendue dans sa confortable fourrure sur les coussins couverts de peaux de bêtes, comme une despote orientale, et les hommes sont assis comme des dieux indiens tout droit contre les parois du wagon et osent à peine respirer.

À Vienne, où elle s’arrête un jour pour faire une emplette, et avant tout se procurer une série de luxueuses toilettes, elle m’emmène en voiture pour se servir de moi comme domestique. Je marche derrière elle, respectueusement, à dix pas de distance ; sans m’honorer d’un seul regard amical, elle me tend les paquets, et finalement elle me laisse, chargé comme un mulet, m’essouffler à perdre haleine.

Avant le départ, elle prend tous mes vêtements et en fait don aux garçons de l’hôtel, et m’ordonne d’endosser sa livrée, un costume cracovien à ses couleurs, bleu clair à parements rouges et un bonnet carré rouge orné de plumes de paon, qui ne m’allaient pas mal du tout.

Les boutons d’argent étaient à ses armes. Il me semble que je me suis vendu, ou que j’ai livré mon âme au diable.

Mon beau démon me conduit faire un tour de Vienne à Florence ; là, au lieu de Masoviens, vêtus en toile, et de juifs aux cheveux bouclés et graisseux, j’ai maintenant, pour compagnons, des contadini, aux cheveux frisés, un brillant sergent du premier régiment de Grenadiers italiens et un pauvre peintre allemand. Le train ne sent plus maintenant l’oignon, mais bien le cervelas et le fromage.

La nuit est de nouveau tombée. Je m’étends sur mon lit de camp où je suis à la t o r t u r e : j’ai les bras et les jambes brisés. Mais il y a encore de la poésie en tout ceci : les étoiles étincellent au ciel, le sergent ressemble à l’Apollon du Belvédère, et le peintre allemand chante une merveilleuse romance allemande :

Pourtant maintenant les ténèbres s’épaississent,

L’une après l’autre chaque étoile s’allume ;

Quel souffle d’ardent désir

Flotte à travers la nuit !

Mon âme agitée

Poursuit la tienne

Sur l’Océan des rêves.

Et je pensai à la belle femme qui, tranquille comme une reine, repose dans sa molle fourrure.

Florence ! Foule de monde qui s’agite et crie, cochers et commissionnaires importuns. Wanda choisit une voiture et éconduit les porteurs.

« Pourquoi alors aurais-je un domestique ? dit-elle ; Grégoire, voici le récépissé, va chercher les bagages. »

Elle s’enveloppa dans sa fourrure et s’assit tranquillement dans la voiture, tandis que, l’une après l’autre, j’apportais les lourdes malles. Un intant, je m’effondrais complètement sous la dernière ; un carabinier à la figure intelligente eut pitié de moi et m’aida. Elle rit.

« Elle doit être lourde, dit-elle, car elle contient toutes mes fourrures. »

Je grimpai sur le siège et épongeai les gouttes de sueur qui perlaient à mon front. Elle désigna l’hôtel, le cocher fouetta son cheval. En quelques minutes nous atteignons la porte cochère brillamment éclairée.

« Avez-vous des chambres, ici ? demanda-t-elle au Suisse.

  • Oui, Madame.

  • Deux pour moi, une pour mon domestique, toutes avec poêles.

  • Deux chambres élégantes, l’une et l’autre avec cheminée pour vous, répondit le garçon, qui était accouru, et une sans feu pour le domestique.

  • Montrez-moi les chambres. »

Elle les inspecta, puis se déclara satisfaite.

« C’est bien, faites vite du feu, le domestique peut dormir dans celle qui n’est pas chauffée. »

Je la regardai.

« Monte la malle, Grégoire, ordonna-t-elle sans remarquer mon regard, pendant que je fais ma toilette et vais dans la salle à manger. Tu peux alors aussi manger quelque chose. »

Tandis qu’elle se rendait dans la chambre voisine, je traînai la malle en haut, aidai le garçon - qui essayait en mauvais français d’obtenir des renseignements sur ma maîtresse - à allumer du feu dans la chambre à coucher et regardai un moment, avec une sourde envie, la cheminée flamber, le ciel de lit blanc et odorant, les tapis qui recouvraient le plancher. Puis, fatigué et affamé, je montai un escalier et demandai quelque chose à manger.

Un brave garçon de salle, soldat italien, qui se donnait mille peines pour me comprendre en allemand, me conduisit dans la salle à manger et me servit. Il y avait trente-six heures que je n’avais avalé une boisson fraîche ou mangé un morceau chaud à la fourchette, comme elle entra.

Je me levai.

« Comment pouvez-vous me conduire dans une salle à manger où se trouve mon domestique ! » reprocha-t-elle durement au garçon, puis, rouge de colère, elle se tourna et se retira.

Je remerciai le Ciel de pouvoir ainsi continuer à manger tant soit peu tranquille. Puis, je grimpai les quatre marches qui me séparaient de ma chambre, dans laquelle se trouvait déjà ma petite malle et où brûlait une petite lampe à huile puante : c’est une pièce étroite, sans cheminée et sans fenêtre, munie seulement d’une petite prise d’air. Sans le froid de chien qu’il faisait, elle me rappelait les plombs de Venise. Il me faut rire aux éclats malgré moi, mais je résiste et ai peur de mon propre éclat de rire.

Tout à coup, la porte s’ouvre brusquement et le garçon, avec un geste théâtral bien italien, s’écrie :

« Il faut de suite descendre auprès de Madame ! »

Je prends ma casquette, butte contre une des marches, arrive enfin sans encombre devant la porte du premier étage et frappe.

« Entrez ! »

J’entre, ferme et me tiens debout près de la porte.

Wanda s’est installée confortablement : elle et assise en négligé de mousseline blanche et de dentelles, sur un petit divan de velours rouge, les pieds sur un coussin de même étoffe et s’enveloppe du même manteau de fourrure qu’elle portait quand, pour la première fois, elle m’apparut comme la déesse de l’Amour.

La lumière jaune des candélabres, qui pendent des trumeaux, se reflète dans le grand miroir, et les flammes rougeâtres de la cheminée se jouent majestueusement sur le velours vert, sur la zibeline sombre du manteau, sur la peau blanche et lisse et sur la chevelure aux tons de feu de la belle femme, qui tourne vers moi son clair mais froid visage et laisse tomber sur moi ses froids yeux verts.

« Je suis contente de toi, Grégoire », commença-t-elle.

Je m’inclinai.

« Approche-toi. »

J’obéis.

« Encore plus près. » Elle baissa les yeux et se mit à passer la main sur la zibeline. « Vénus à la fourrure reçoit son esclave. Je vois que vous êtes plus que jamais le fantasque habituel, vous êtes toujours du moins sous l’empire de vos rêves, et ce serait la chose la plus folle de mener à bien votre conception ; j’avoue que cela me plaît, que cela m’en impose. C’est là que réside la f o r c e , et on n’estime que la f o r c e . Je crois même que, dans des circonstances extraordinaires, à une grande époque, ce qui semble votre point faible, paraîtrait une f o r c e étonnante. Sous les premiers empereurs, vous auriez été un martyr ; à l’époque de la Réforme, un anabaptiste ; sous la Révolution française, un de ces Girondins les plus exaltés qui, la Marseillaise aux lèvres, montaient à la guillotine. Mais comme vous êtes mon esclave, mon… »

Elle bondit tout à coup, de façon que la fourrure tomba à terre, et m’entoura le cou de ses bras dans un élan de tendresse.

« Mon esclave chéri, Séverine, oh ! combien je t’aime, combien je t’adore ! comme tu as l’air pimpant en costume cracovien ! mais tu gèleras, là-haut, cette nuit, dans ta misérable chambre sans cheminée ; te donnerai-je ma fourrure, mon petit coeur, la grande alors ? »

Elle la ramassa vivement, me la jeta sur les épaules et, avant que je ne m’y attendisse, m’en enveloppa confortablement.

« Ah ! que la fourrure te sied bien ! elle fait admirablement ressortir tes nobles traits. Bientôt, tu ne seras plus mon esclave ; veux-tu porter un vêtement de velours garni de zibeline, comprends-tu ? Sinon je ne mettrai plus jamais une jaquette de fourrure. »

Et de nouveau, elle commença à me caresser, à m’embrasser et à m’attirer sans cesse sur le petit divan de velours.

« Tu te plais, je crois, dans la fourrure, dit-elle, donne-la-moi, vite, vite, autrement je perds tout sentiment de ma dignité. »

Je posai la fourrure autour d’elle, et Wanda passa le bras droit dans la manche.

« C’est ainsi que le Titien représente son héroïne. Maintenant, trêve de plaisanterie. N’aie plus toujours l’air si malheureux, cela me rend triste ; tu n’es provisoirement mon domestique qu’aux yeux du monde, tu n’es pas encore mon esclave, tu n’as pas encore signé le contrat, tu es encore libre, tu peux me quitter à tout instant ; tu as joué ton rôle d’une façon magistrale. J’étais ravie, mais n’en as-tu pas déjà assez, ne me trouves-tu pas abominable ? Maintenant, parle, je te l’ordonne.

  • Dois-je te le confesser, Wanda ? Commençai-je .

  • Oui, tu le dois.

  • Et si tu en a b u s e s aussi, repris-je, je suis comme toujours amoureux de toi, je t’honorerai, je t’adorerai toujours davantage, toujours plus fanatiquement ; quand tu me m a l t r a i t e s, comme tu l’as fait tout à l’heure, tu me brûles le s a n g , tu enivres tous mes sens. » Je la pressai sur moi et me suspendis un moment à ses lèvres humides. « Ô toi, belle femme ! criai-je alors, en la contemplant, et, dans mon enthousiasme, j’arrachai la fourrure de zibeline de ses épaules, et couvris sa nuque de baisers.

  • Tu m’aimes aussi quand je suis cruelle, dit Wanda ; va, maintenant, tu m’ennuies, n’entend-tu pas ? »

Elle me donna un tel soufflet que j’en vis trente-six chandelles et que l’oreille m’en tinta.

« Aide-moi à passer ma fourrure, esclave ! »

Je l’aidai du mieux que je pus.

« Quel maladroit ! » cria-t-elle, et à peine l’eut-elle sur le dos, qu’elle me frappa de nouveau en pleine figure. Je sentis combien je changeai de couleur.

« T’ai-je fait mal ? demanda-t-elle, et elle posa doucement sa main sur moi.

  • Non, non, m’écriai-je .

  • Tu n’oses certes pas te plaindre, tu le veux ainsi ; maintenant, donne-moi encore un baiser. »

Je l’entourai de mes bras et ses lèvres se collèrent aux miennes, et comme elle reposait sur ma poitrine, dans la grande et lourde fourrure, j’éprouvai une sensation bizarre d’étouffement, comme si une bête féroce, une ourse m’eût enlacé et comme si je sentais à tout instant ses griffes s’enfoncer dans mes chairs. Mais, cette fois, l’ourse me laissa gracieusement aller.

Le cœur rempli de souriantes espérances, je montai dans ma misérable chambre de domestique et me jetai sur mon lit, un lit très dur.

« La vie est, à vrai dire, comique au plus haut point, pensai-je à part moi ; tout récemment encore la plus belle femme, Vénus, elle-même, a reposé sur ta poitrine, et maintenant tu as l’occasion d’étudier l’enfer des Chinois qui ne font pas précipiter dans les flammes les damnés comme nous, mais que les démons chassent vers les mers de glace. Les fondateurs de leur religion ont aussi vraisemblablement couché dans des pièces non chauffées. »

Je me suis cette nuit éveillé en sursaut, en jetant un cri d’épouvante : j’avais rêvé d’une mer de glace, sur laquelle je m’étais égaré et dont je cherchais vainement à sortir. Tout à coup survint, dans un traîneau conduit par des rennes, un Esquimau qui ressemblait au garçon qui m’avait assigné la pièce sans feu.

« Que cherchez-vous, Monsieur ? Cria-t-il, c’est ici le pôle Nord. »

L’instant d’après, il disparut et Wanda passa en patins volant sur la couche de glace, sa robe de satin blanc flottait et craquait, l’hermine de sa jaquette et de sa toque, principalement son visage jetaient un éclat plus blanc que la blanche neige elle-même ; elle fondit sur moi, me serra dans ses bras et se mit à m’embrasser ; tout à coup je sentis mon s a n g ruisseler sur mon corps, à flots pressés et brûlants.

« Que fais-tu là ? » demandai-je épouvanté.

Elle se mit à rire, et comme maintenant je la considérais, je m’aperçus que ce n’était plus Wanda, mais une énorme ourse blanche, qui enfonçait ses griffes dans mon corps.

Je criai de désespoir et entendis encore son rire diabolique, comme je m’éveillai et, tout étonné, je promenai mes regards dans la chambre.

Le matin, de bonne heure, je me tenais déjà à la porte de Wanda et, comme le garçon apportait le café, je le lui pris des mains et le servis à ma belle maîtresse. Elle avait déjà fait sa toilette et avait l’air superbe, fraîche et rosée ; elle me sourit affectueusement et me rappela, alors que, respectueusement, je voulus m’éloigner.

« Prends aussi vivement ton déjeuner, Grégoire, dit-elle, car nous allons chercher une maison ; je ne veux rester à l’hôtel que le moins longtemps possible ; nous sommes effroyablement gênés ici, et s’il me plaît de causer encore quelque temps avec toi, on dira : la Russe a des relations aimables avec son domestique, on le voit, la race des Catherine n’est pas encore m o r t e. »

Une demi-heure après, nous sortîmes, Wanda en costume de drap, avec sa toque russe, moi en costume cracovien. Nous fîmes sensation. Je marchais à quelque dix pas derrière elle et gardais mon sérieux, tout en craignant à chaque seconde de partir d’un éclat de rire. Il n’y avait pas une seule rue où sur l’une des belles maisons qui s’y rencontraient l’on ne vît le petit écriteau : Camere ammobiliate. Wanda m’envoyait chaque fois gravir l’escalier, et, seulement lorsque je lui rapportais que la maison avait bonne apparence, elle se décidait à monter. C’est ainsi qu’à midi j’étais déjà aussi fatigué qu’un chien après une chasse à courre.

Nous allâmes de maison en maison, sans en avoir trouvé une de convenable. Wanda était quelque peu contrariée. Tout à coup, elle me dit :

« Séverine, le sérieux avec lequel tu joues ton rôle est charmant, et la contrainte que nous nous sommes imposée m’excite au plus haut point ; je n’y tiens plus, tu es à croquer, il faut que je te donne un baiser. Entrons quelque part.

  • Mais, Madame… remarquai-je.

  • Grégoire ! »

Elle entra au premier étage que nous trouvâmes ouvert, monta quelques marches du sombre escalier, m’enlaça de ses bras dans un transport affectueux et m’embrassa.

« Hélas ! Séverine, tu es bien rusé ; comme esclave, tu es beaucoup plus dangereux que je ne pensais, oui, je te trouve irrésistible, je crains de m’éprendre encore une fois de toi.

  • Ne m’aimes-tu donc plus ? » demandai-je, saisi d’un effroi subit.

Elle secoua sérieusement la tête, puis m’embrassa de nouveau en imprimant sur mes lèvres ses lèvres exquises. Nous retournâmes à l’hôtel. Wanda fit un déjeuner à la fourchette et m’offrit également de suite quelque chose à manger.

Mais je ne fus pas aussi diligemment servi qu’elle ; c’est ainsi qu’il advînt que je n’avais pas même porté deux morceaux de beefsteak à ma bouche, que le garçon entra et, de son air théâtral, s’écria : « De suite auprès de Madame ! »

Je dus ainsi prendre un rapide et douloureux congé de mon déjeuner et, fatigué et affamé, allai rejoindre Wanda qui déjà se trouvait dans la rue.

« Je ne vous avais encore jamais crue si cruelle, maîtresse, dis-je d’un ton plein de reproche, qu’après toutes ces fatigues, vous ne me laissiez pas une seule fois manger tranquille. »

Wanda se mit à rire de tout son cœur.

« Je pensais que tu étais prêt, dit-elle, mais cela ne fait rien. L’homme est né pour souffrir et toi tout particulièrement. Les martyrs n’avaient pas non plus mangé de beefsteaks. »

Je la suivis, plein de rancune, tout en contenant ma faim.

« J’ai renoncé à l’idée de prendre en ville un appartement, continua Wanda, on trouve fatiguant tout un étage où l’on est enfermé et où l’on ne peut faire ce que l’on veut. Dans des circonstances aussi bizarres, aussi fantastiques que celles où nous nous trouvons vis-à-vis l’un de l’autre, il faut tout mettre d’accord. Je vais louer une villa tout entière ; maintenant, attends un peu, tu vas être étonné. Je te permets maintenant de te rassasier, puis d’aller visiter Florence. Ne rentre pas à la maison avant le soir. Si alors, j’ai besoin de toi, je te ferai appeler. »

J’ai vu le Dôme, le vieux palais, la loge des Lanzi, puis, j’ai longtemps contemplé l’Arno. Je laissai tomber mes regards sur l’antique et majestueuse Florence dont les rondes coupoles et les clochers se dessinent mollement sur le ciel bleu et pur, sur les ponts magnifiques, sous les arches desquels le beau fleuve chasse ses eaux rapides, sur les vertes collines, couvertes de sveltes cyprès et de vastes monuments, palais ou cloîtres, qui entourent la ville.

C’est tout un autre monde que celui où nous nous trouvons, un monde joyeux, voluptueux et ensoleillé. Le paysage n’y a rien du sérieux, de la mélancolie du nôtre. Aussi loin que la vue porte, il ne se trouve pas un coin - pas même jusqu’aux dernières villas blanches éparpillées sur les montagnes vert clair - que le soleil n’éclaire de sa brillante lumière, et les hommes y sont moins sérieux que nous, ils y sont moins capables de penser, mais ils regardent tout, comme s’ils étaient heureux.

On soutient aussi que, dans le Midi, on meurt plus facilement. Je me doute maintenant que c’est une rose sans épine et une volupté sans tourment.

Wanda a découvert sur la rive gauche de l’Arno une charmante petite villa, tout à côté des Cascines et l’a louée pour l’hiver. Elle se trouve située dans un ravissant jardin avec des bosquets enchanteurs, des pelouses et des parterres de camélias. C’est une villa d’un étage, de style italien et de forme carrée ; sur le devant s’étend une galerie ouverte, une espèce de « loggia » avec des statues de plâtre d’après l’antique, installées sur des piédestaux ou sur les marches de pierre qui descendent au jardin. Par la galerie on parvient à un majestueux bassin de marbre, d’où un escalier en spirale conduit à la chambre à coucher de la maîtresse.

Wanda occupe toute seule le premier étage. Une chambre fort jolie, ayant même une cheminée, m’est réservée au rez-de-chaussée.

J’ai parcouru le jardin et, sur un petit tertre, j’ai découvert un petit temple dont j’ai trouvé la porte fermée ; mais cette porte présente une fente à laquelle j’applique l’oeil et j’aperçois à l’intérieur la déesse d’Amour debout sur un blanc piédestal.

Un doux frisson me passe. Tout en ricanant, elle me dit : « Es-tu là ? Je t’ai attendu. »

Le soir est venu. Une jolie petite soubrette m’apporte l’ordre de paraître devant la maîtresse. Je gravis les larges marches de marbre, traverse l’antichambre, un grand salon rempli de somptueuses richesses, et frappe à la porte de la chambre à coucher. Je frappe tout doucement, car le luxe que je vois répandu partout m’inquiète ; c’est pourquoi, n’ayant pas été entendu, je me tiens quelque temps devant la porte. Je me demande comment je me tiendrais devant la chambre à coucher de la grande Catherine et comment, à ce moment, elle sortirait dans sa verte pelisse avec le cordon rouge sur sa gorge nue et ses petites boucles blanches et poudrées.

Je frappe de nouveau, Wanda ouvre impatiemment et v i o l emment le battant.

« Pourquoi si tard ? demande-t-elle.

  • J’étais derrière la porte, tu ne m’as pas entendu frapper », répondis-je timidement.

Elle ferme la porte, se pend après moi et me conduit vers un sofa de damas rouge sur lequel elle s’est reposée. La pièce est toute en rouge : tapis, tentures, portières, ciel de lit, tout est en damas rouge ; quant au couvre-pieds, il représente un sujet superbement ouvragé : Samson et Dalila.

Wanda me reçoit dans le plus fascinant des déshabillés : sa robe de satin blanc colle légèrement et artistiquement sur son corps gracieux, laissant à nu la gorge et les bras qui, délicats et nonchalants, s’entourent de la sombre fourrure de la grande pelisse de velours vert garni de zibeline. Sa chevelure de feu mi-défaite, et retenue par des noeuds de perles noires, tombe sur le dos jusqu’aux hanches.

« Vénus à la fourrure », balbutiai-je, tandis qu’elle m’attire sur sa gorge et menace de m’étouffer de baisers. Puis je reste muet et privé de pensée, tout s’effondre dans une mer de délices insoupçonnées.

Finalement, Wanda se détache et me regarde, accoudée sur un bras. J’étais tombé à ses pieds, elle m’attira à elle et se mit à jouer avec ma chevelure.

« M’aimes-tu encore ? demanda-t-elle, les yeux noyés d’ivresse.

  • Tu le demandes ! m’écriai-je.

  • Te souviens-tu encore de ton serment ? Ajouta-t-elle avec un ravissant sourire, maintenant, tout est arrangé ici, tout est prêt, je te le demande encore une fois : est-ce vraiment ton désir de devenir mon esclave ?

  • Ne le suis-je déjà ? demandai-je étonné.

  • Tu n’as pas encore signé le document.

  • Le document… quel document ?

  • Ah ! je vois, tu n’y penses déjà plus, dit-elle, alors laissons cela tranquille.

  • Mais Wanda, dis-je, tu sais que je ne connais pas de plus grandes délices que de te servir, d’être ton esclave, et que je donnerais tout pour cette volupté : me savoir tout en ton pouvoir, y compris ma vie.

  • Que tu es beau, balbutia-t-elle, quand tu t’exaltes ainsi, quand tu parles si passionnément ! Hélas ! je suis plus que jamais éprise de toi et je serais impérieuse, dure et cruelle envers toi ! Je crains de ne jamais pouvoir l’être.

  • Cela ne m’inquiète pas, répliquai-je en riant, où as-tu mis le document ?

  • Ici. »

Mi-confuse, elle le tira de son sein et me le passa.

« Avec cela, tu as ton bonheur, ajouta-t-elle, tu peux être tout en mon pouvoir ; n’ai-je pas dressé un second document, dans lequel tu déclares que tu es décidé à te tuer. Je puis donc te tuer, si je veux.

  • Donne. »

Tandis que je dépliais le document et commençais à le lire, Wanda prit l’encre et la plume, puis s’assit à côté de moi, posa le bras sur ma nuque et regarda le papier par-dessus mon épaule.

Il était ainsi conçu :

Contrat entre Madame Vanda Von Dunajew et Monsieur Séverine vont Kusiemski.

« M. Séverine Von Kusiemski entend ce jour être le fiancé de la dame Wanda va Dunajew et renonce à tous ses droits d’amant ; il s’oblige sur sa parole d’honneur et de gentilhomme, à être désormais son esclave, aussi longtemps qu’elle ne lui aura pas elle-même rendu la liberté.

« Comme esclave de la dame Dunajew, il prend le nom de Grégoire et s’engage à satisfaire sans réserve tous les désirs de ladite dame, sa maîtresse, à se conformer à tous ses ordres, à lui être humblement soumis, à considérer toute marque de sa faveur comme une grâce extraordinaire.

« Mme vont Dunajew peut non seulement frapper son esclave à sa guise pour les plus petits délits ou fautes, mais elle a aussi le droit de le m a l t r a i t e r par caprice ou comme passe-temps, comme bon lui semble, voire de le tuer, si cela lui plaît ; il est en somme sa propriété absolue.

« Si Mme vont Dunajew vient à donner la liberté à son esclave, M. Séverine Von Kusiemski s’engage à oublier tout ce que, comme esclave, il aura dû souffrir ou subir, et à ne jamais, en aucune façon, par aucun moyen et sous aucune espèce de considération que ce soit, s’en venger, ou exercer de ce fait une action quelconque envers ladite Dame.

« Par contre, Mme Von Dunajew s’engage comme maîtresse à paraître en fourrure aussi souvent que possible devant son esclave, même lorsqu’elle se montrera cruelle envers lui.

« Daté de ce jour. »

Le second document ne contient que ces mots :

« Fatigué des déceptions d’une année d’existence, j’ai librement mis fin à ma vie inutile. »

Une profonde horreur m’envahit, comme j’arrivai à la fin ; cependant, il était encore temps, je pouvais encore revenir en arrière, mais la démence de la passion, la vue de la belle femme qui, ivre de joie, s’appuyait sur mon épaule, m’entraînèrent.

« Il te faut tout d’abord copier ceci, dit Wanda, désignant le second document, il doit être entièrement écrit de ta main ; quant au contrat, cela n’est naturellement pas indispensable. »

Je me mis à copier vivement les quelques lignes, dans lesquelles je proclamais mon suicide, et les remis à Wanda. Elle les lut et, tout en riant, posa le papier sur la table.

« Maintenant, aurais-tu le courage de signer cela ? » demanda-t-il, en secouant la tête avec un fin sourire.

Lire la suite : La Vénus à la Fourrure 4
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